Accueil

Barrage souterrain ou barrage classique en surface ?

Cette question nous a été maintes fois posée pour des projets de “stockage d’eau” au Sahel, où les inconvénients des barrages réservoirs classiques sont bien connus :

la rareté des sites évidents, que ce soit sur le plan hydrologique, topographique, ou géologique
une forte évaporation atteignant ou dépassant les 3 m annuels dans les régions où souffle l’Harmattan,
le manque de relief qui nécessite de longues digues pour stocker des volumes d’eau restreints et sur de grandes surfaces, donc de faibles profondeurs,
les pollutions amenées par les divagations des nombreux troupeaux venant s’abreuver sur les berges ou dans la retenue elle-même,
les eaux stagnantes pouvant favoriser le développement du paludisme et parfois de la bilharziose.

Pourtant, malgré ces inconvénients dont certains peuvent être maîtrisés, ou au moins minimisés, comme la pollution par les troupeaux, les avantages de ces retenues de surface sont assez probants pour qu’elles se multiplient au Sahel. En tous cas, elles ont contribué à la résurrection de nombreux villages, grâce aux cultures de contre-saison sur les terres libérées par les décrues de la retenue ou par irrigation vers l’aval.
En même temps, cette eau de surface a aussi souvent permis de réalimenter la nappe alluviale dans toute la vallée à l’amont comme à l’aval.

Barrage souterrain

N’ayant réalisé aucun ouvrage de ce type au Sahel, cette technique nous est moins connue. C’est pourquoi nous profitons de cet article pour faire un appel à contribution à tous les lecteurs qui ont des informations fiables, ou mieux, une expérience vécue. Ce débat sera d’autant plus intéressant que nous pourrons en faire profiter directement une petite association de Cogolin (Var) «les amis du Sahel».

En effet, celle-ci a démarré un projet de fourniture d’eau potable avec les habitants du petit village de Markoye, près de Gorom-Gorom au Burkina-Faso, et envisage la réalisation d’un barrage souterrain. Nous serons donc heureux de les aider à choisir la solution technique la mieux adaptée à leur projet.

Les quelques réflexions et remarques qui suivent n’ont pour but que d’amorcer la discussion.

Pourquoi un barrage souterrain et comment le réaliser ?

Pour stocker l’eau qui s’écoule dans la nappe alluviale d’une vallée, ce qui suppose que la topographie comme la géologie de cette vallée permettent ce stockage dans des conditions économiques acceptables.

Utilisation de moyens modernes

Dans nos pays industrialisés, construire un barrage souterrain dans une vallée alluviale ne pose plus de problèmes techniques. On n’a que l’embarras du choix du moyen le plus économique et le mieux adapté à la nature et à la granulométrie des alluvions. Le battage des palplanches ou la réalisation de parois étanches minces par fonçage d’IPN, injection de coulis de ciment et retrait, sont des solutions simples et économiques pour des alluvions sablo-graveleuses ou limoneuses et pour de faibles profondeurs de 12 à 15 m. Pour des grandes profondeurs, on peut réaliser des parois en béton moulées dans le sol, armées ou non et d’épaisseurs notables, creusées avec de grosses bennes preneuses ou avec l’hydrofraise capable de descendre à plus de 100 m de profondeur sans déviation notable. Pour les profondeurs moyennes (entre 15 et 30 m), il est possible d’utiliser : pieux tangents ou sécants, injections classiques sous pression de coulis de ciment ou de résines avec «encagements» si nécessaires, ainsi que le jet-grouting qui a déjà fait ses preuves dans de nombreux ouvrages.

Toutes ces techniques exigent des équipements plus ou moins lourds mais toujours onéreux et dont l’amenée et le repli grèvent déjà une part importante du budget des travaux. Malgré leurs nombreux avantages (rapidité, sécurité, travail à sec depuis la surface du terrain naturel), il n’est guère envisageable de les utiliser pour de modestes ouvrages villageois.

Utilisation de moyens artisanaux

Il reste toujours la possibilité de creuser une tranchée à ciel ouvert avec des engins (chargeuses ou pelles mécaniques) en assurant la stabilité par des talus de pente adéquate. Enfin des fouilles blindées, effectuées à la main avec les moyens du bord sont encore envisageables, mais à quel prix ? La mise à sec des fonds de fouille et l’exhaure* par pompage des eaux pour abaisser le niveau de la nappe sera d’autant plus difficile et onéreux que la tranchée sera profonde. Lorsque le niveau d’ancrage (rocher ou couche de terrain étanche) n’est pas trop profond, il serait peut être possible de s’inspirer de la technique des parois moulées, et d’utiliser une pelle rétro pour creuser une tranchée avec des parois verticales, stabilisées par de «l‘eau lourde», une argile locale remplaçant la «bentonite» habituellement utilisée.

De même un «remblayage hydraulique» avec des limons argileux serait peut être envisageable pour réaliser la paroi d’étanchéité évitant les pompages que nécessiterait le compactage à sec des matériaux de remblais. Mais serait-il possible avec de tels moyens artisanaux de réaliser des parois assez étanches, d’arriver à les ancrer en profondeur dans le rocher ou dans une couche argileuse sans laisser de «fenêtres» assez importantes qui risqueraient de compromettre la capacité de stockage de tout l’ouvrage ? Quel sera le coût de tels barrages souterrains et donc leur rapport qualité-prix ?

Pourquoi ne pas mieux rentabiliser les barrages souterrains ?

Enfin, une fois réalisé ce barrage souterrain, ne serait-il pas intéressant et rentable de le compléter en surface par un barrage classique en remblais (sans oublier l’évacuateur de crue pour la sécurité). C’est le cas de tous les barrages connus en France, lorsqu’ils sont fondés sur alluvions, depuis Serre-Ponçon jusqu’aux nombreuses petites digues surmontant des parois étanches.

C’est la raison pour laquelle nous pensons que, lorsque cela est possible, il est préférable de réaliser un barrage classique, avec parafouille étanche, servant seulement d’écran anti-renard, qui ralentit mais ne bloque pas complètement l’écoulement de la nappe alluviale car ce serait aussi au détriment des habitants vivant à l’aval. En même temps, cette réserve d’eau de surface contribuera à réalimenter la nappe alluviale dans toute la vallée, à l’amont en rehaussant le niveau, à l’aval en régularisant les apports.

Pour le cas particulier de Markoye, il semble que d’après quelques photos il existe déjà une grande mare à proximité, montrant l’étanchéité du fond de la cuvette. Il serait probablement intéressant d’étudier les possibilités d’augmentation des capacités de stockage de cette réserve naturelle en surélevant son niveau avec un petit barrage.

Brice Wong