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Digue de Coalla Nebba : Y’a pas de problème

HSF, Via Nebba et Tinyenga Niyemba ont effectué une mission à Coalla (Burkina Faso) en février et mars 2000 pour réaliser avec la population locale une digue en terre. Les problèmes techniques ayant été largement évoqués dans l’article paru dans le numéro précédent d’H2O, Nathalie et Julianne se contentent ici de quelques réflexions sur ce qu’elles ont directement perçu durant ces sept semaines de travail en pays gourmanché.

La vie communautaire

Les activités villageoises sont gérées par des groupements villageois d’hommes, de femmes et parfois mixtes. Ces groupements se réunissent régulièrement pour discuter de thèmes divers et variés qui peuvent concerner la santé, l’hygiène, l’alphabétisation des adultes, le prix du sac de mil, etc. Ces débats conduisent aux actions à mettre en place pour le développement du village.
Ces groupements villageois ont souvent été initiés et financés par diverses ONG pour pallier le  manque d’initiative, d’organisation et de moyens des structures administratives en place.
Au niveau du village, il existe aussi des comités de gestion qui conseillent les groupements villageois et qui prêtent de l’argent à des taux préférentiels.
Ayant besoin de croire en des jours meilleurs, les burkinabés sont très religieux. Ils sont, dans l’ordre d’importance, musulmans, animistes, chrétiens (catholiques et protestants).
Toutes ces communautés vivent en parfaite entente : dès qu’une fête religieuse est célébrée, tous les villageois y participent quelle que soit leur appartenance.
Jour de Paye
Du travail des hommes…
L’activité économique en pays gourmanché est liée aux saisons. Pendant la saison pluvieuse, de juin à septembre, les hommes se consacrent à la culture du petit mil, du sorgho blanc, des arachides, du sésame, du pois de terre et parfois des haricots. Les récoltes se font d’octobre à décembre.
Passée cette période d’intense activité, ils s’occupent en élevant un bœuf et/ou 3 à 4 moutons qu’ils vendent en général au mois de mai. Certains d’entre eux espèrent faire fortune en s’improvisant chercheurs d’or dans les collines voisines, d’autres font du commerce de marchandises diverses (bonbons, savon, sucre, allumettes, cigarettes, pastis, bière, etc.). Les plus audacieux sont cordonnier, teinturier, meunier, pharmacien, les plus courageux partent chercher du travail dans les plantations en Côte d’Ivoire ou se rendent dans les zones voisines où la présence de barrages leur permet de pêcher et de vendre le poisson. Les mieux nantis attendent passivement la prochaine saison pluvieuse.

… et de celui des femmes
Les femmes, tout comme les hommes, se consacrent aux cultures pendant la saison pluvieuse. Elles ont en plus à piler le mil - on peut entendre les pilons à partir de 5 heures du matin et jusqu’à 22 heures - à assumer les corvées de puisage d’eau et à s’occuper de la préparation de la nourriture (le tô servi à tous les repas avec des variantes dans la sauce). Ces activités se poursuivent aussi à la saison sèche. Pendant cette période, et en plus des tâches domestiques, elles doivent se débrouiller pour avoir l’argent nécessaire à l’achat de nourriture. Certaines font donc du commerce de marchandises diverses, mais aussi de nourriture qu’elles ont préparée (galettes de mil, biscuits d’arachide, beignets de haricot, etc.), d’autres sont couturières, potières, coiffeuses etc.
Toutes ces activités sont faites avec le petit dernier accroché dans le dos et avec un œil sur les jeunes enfants non scolarisés. Les femmes ont évidemment la charge des enfants bien que ceux-ci appartiennent à l’homme. Notons cependant que les vieux1 acceptent bien volontiers de surveiller les enfants lorsque c’est nécessaire.
Dans la majorité des cas, les hommes sont opposés à l’activité salariée de leurs épouses. Cet état de fait est logique puisque les femmes sont soumises à l’autorité de leur époux. Sauf si elles apportent plus d’argent qu’eux au foyer conjugal…
Ecole primaire de Nebba
L’éducation des enfants
L’enfant burkinabé n’est pas, comme en Europe, l’objet de toute l’attention de ses parents. Il est encore souvent considéré comme une bouche à nourrir, bien que son statut soit en train d’évoluer de manière positive.
Traditionnellement, l’enfant aîné est donné en signe de reconnaissance et de respect à son oncle ou à sa tante. Ses parents naturels n’ont aucun droit sur lui et ne peuvent pas décider de son appartenance religieuse ou de sa scolarité. Cette tradition encore très présente chez les gourmanchés tendrait à disparaître.
Dès qu’ils quittent le dos de leur mère, les enfants acquièrent une grande autonomie. Ils sont élevés en toute liberté, sans contrainte d’horaire. Ils mangent quand ils ont faim, dorment quand ils sont fatigués là où ils se trouvent et dans n’importe quelle position (couchés, assis et même debout !)
Ce manque de repères et de règles rend très difficile leur scolarisation et oblige les enseignants à mener une discipline très autoritaire.
Le taux de scolarisation en primaire est de l’ordre de 40 %. Les garçons sont toujours plus scolarisés bien qu’un effort de sensibilisation à la scolarisation des filles soit fait au niveau national. Les classes comptent au moins une trentaine d’élèves et peuvent atteindre facilement 60 élèves et plus. Ceci est principalement lié au manque d’instituteurs dans le pays mais aussi au manque de volontaires pour enseigner en brousse.
Moins de 10 % des enfants poursuivent un cycle secondaire bien que la moitié d’entre eux réussissent à obtenir leur certificat d’étude. Le cycle supérieur ne concerne qu’une infime partie de la population urbaine (1 à 2 %).
Les jeunes déplorent également le manque d’enseignement technique.
Encore faible, le taux de scolarisation progresse pourtant chaque année grâce à la prise de conscience des jeunes parents de l’intérêt de l’accès au savoir. Ils ne se contentent plus de scolariser leur aîné, qui habituellement devenait fonctionnaire et pourvoyait aux besoins de la famille, mais ils scolarisent aussi les suivants pour qu’ils puissent prétendre à une vie meilleure que la leur et qu’ils contribuent au développement de leur village et de leur pays.
La vie du chantier
Et sur le chantier, c’était comment ?

Faire travailler les chefs d’équipe relevait du défi. Traditionnellement, les chefs ne travaillent pas, puisqu’ils sont chefs (Ah ! tendre souvenir de l’époque coloniale…). Comme ils étaient payés le double des travailleurs, nous ne pouvions accepter de les laisser jouer au petit chef colonial. Nous leur avons donc gentiment fait comprendre que le chef se devait de montrer l’exemple parce qu’il savait exactement ce qu’il fallait faire pour que le travail soit correctement réalisé. Nous leur avons également expliqué systématiquement ce qu’ils faisaient et pourquoi ils le faisaient. Certains nous justifiaient la lenteur de leur compréhension par leur couleur de peau “ nous les noirs, on comprend pas bien ”. Ils ont pourtant parfaitement compris.
Raisonnables, nous ne leur avons pas proposé de faire des équipes mixtes. Les hommes travaillaient dans les zones d’emprunts et les femmes compactaient en chantant ou en poussant leur youyou. Pourtant, un jour, il a fallu renforcer les équipes de femmes au compactage… Comment réussir à persuader un homme de faire le même travail qu’une femme sans heurter sa susceptibilité et sa fierté masculine ? Il a suffi de leur expliquer que le noyau était la partie la plus importante du barrage pour qu’ils se sentent honorés de participer au compactage. Et c’est dans une ambiance rythmée de chants et de coups de bâtons (sur le noyau) qu’hommes et femmes gourmanchés ont travaillé ensemble à la même tâche !
L’important est qu’ils maîtrisent maintenant les techniques du barrage en terre (compactage, filtre, déversoir, etc) et que certains d’entre eux se sont même familiarisés avec les termes techniques. À tel point qu’ils ont créé une association, Hamtandi «l’amitié prolongée», présidée par Aremo Mousbaou (propriétaire du camion), pour construire des barrages dans tout le pays durant la saison sèche !
La présence de membres de l’association Via Nebba sur le chantier a également été fort appréciée par les villageois qui s’en trouvaient plus motivés, ainsi que par Julianne et Nathalie qui en ont retiré un grand soutien moral et des contacts humains très enrichissants.
Mais le fait le plus marquant est la façon dont a évolué la perception du barrage par les villageois. Ils ne voyaient au départ qu’un moyen de désenclaver Coalla et la future route qu’ils pourraient emprunter en saison pluvieuse. Puis, au fur et à mesure de l’avancée des travaux, ils se sont mis à parler des poissons qu’ils pourront à nouveau pêcher, des cultures de décrues qu’ils pourront pratiquer et de toutes les terres irriguées qu’ils pourront cultiver. Ils ont réussi à se projeter dans l’avenir, concept pour eux difficile puisqu’ils ont une vision cyclique du temps.
Grâce à ce changement d’état d’esprit, ils ont même accepté de travailler gratuitement la dernière semaine de présence de HSF. 210 personnes sur 280 se sont présentées alors que nous n’en attendions au mieux qu’une centaine…
En effet, comme le rythme des travailleurs était plutôt lent par rapport à nos prévisions, la digue n’a pu être achevée malgré le prolongement du séjour de Nathalie d’une semaine supplémentaire. Cette lenteur, accrue par la fatigue croissante des ouvriers, par des intempéries, par la fête du Tabaski2, et malheureusement par des décès, était bien sûr liée à la méconnaissance du maniement des outils mais aussi (surtout ?) à leur incapacité de travailler tout en discutant. Comme ils parlent beaucoup…
L’association Hamtandi a donc pris le relais. L’achèvement de la digue de Coalla sans la présence de HSF sera sa  première réalisation.
Par l’implication de tous les villageois, de leurs chefs, du préfet, de Via Nebba, de Tinyenga Niyemba et de HSF, dans une ambiance fraternelle et d’échanges intellectuels et culturels, l’achèvement de la digue devrait être assuré avant la saison pluvieuse et elle résistera aux crues… Les batteurs de sable l’ont prédit…

Nathalie Modoux et Julianne  Soudan