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Périodiquement cyclones, typhons, inondations ravagent bien des pays de par le monde : Chine, Inde, Bangladesh, Honduras, Venezuela... et même l’Europe et la France, avec des violences assez exceptionnelles pour nous faire comprendre la nécessité d’une véritable solidarité internationale.
Michel Ho Ta Khanh, Truong Quang Minh (membres d’HSF et de CODEV) Michèle et Brice Wong, étaient au Vietnam en novembre 1999, où ils devaient rencontrer M.Nguyen Van Mê, ancien Maire de la ville de Hué, avec qui nous avions travaillé, en tant qu’HSF, pour l’étude du barrage de Binh-Dien juste à l’amont de la ville de Hué. Mais bloqués par les inondations et les glissements de terrain, nous n’avons pu atteindre Hué. Aussi avons-nous demandé à Michel et à Minh de nous apporter leur témoignage direct et leurs réflexions.

INTRODUCTION

Du 2 au 5 novembre 1999 des pluies diluviennes se sont abattues sur le Centre du Vietnam provoquant les plus graves inondations depuis plus d'un siècle dans les sept provinces de Quang Binh à Binh Dinh, notamment dans ses deux principales villes, Hué et Danang, qui se sont retrouvées sous plusieurs mètres d'eau.
Il y a eu plus de 600 morts et disparus et plus d'un million de personnes privées de nourriture pendant plusieurs jours. Les dégâts matériels ont été considérables : destruction de centaines de milliers de maisons et d'établissements publics, d’infrastructures, de dizaines de milliers d'hectares de rizières et de cultures maraîchères, sans compter la perte de tout le stock de semences.
Cette catastrophe naturelle, d'une ampleur et d'une brutalité exceptionnelles, a mobilisé l'ensemble de la population, ce qui a permis grâce à une solidarité nationale remarquable - et aussi à l'aide internationale déjà très sollicitée - de secourir les premières victimes et de remettre rapidement en état les infrastructures de base. Cependant, faute de moyens, ces dégâts pèseront encore pendant de nombreuses années sur l'économie de cette région.
Nous nous sommes rendus à Hué juste après ces inondations pour visiter les lieux et évaluer les aides à apporter par CODEV (Coopération développement). Nous sommes allés ensuite à Hanoi, avec notre représentant permanent au Vietnam, pour rencontrer les ambassadeurs de l'Union européenne, de France, des Pays-Bas, les représentants des organisations internationales et les responsables des services techniques vietnamiens, tous ces organismes étant concernés, à un titre ou à un autre, par le problème de la lutte contre les inondations au Vietnam.

LES INONDATIONS AU CENTRE DU VIETNAM

Des inondations se produisent presque tous les ans au centre du Vietnam pendant la saison des pluies (généralement du début septembre à la fin de décembre). Leur importance et leur extension varient en fonction des pluies et des typhons, mais les facteurs suivants expliquent pourquoi cette région est particulièrement touchée :
 Facteurs météorologiques
Tous les ans, pendant la saison des pluies, des dépressions naissent dans l'Océan Pacifique près des Iles Philippines (Mer de Chine du Sud). Elles se déplacent vers l'ouest et atteignent le continent à la hauteur du Centre du Vietnam. Souvent, ces dépressions rencontrent dans cette zone des masses d'air froid venues de Chine. Ce contact entre le front froid continental et l'air chaud et saturé d'eau en provenance de l'océan donne naissance à des pluies très importantes (cas des inondations de novembre 1999 notamment). Parfois ces dépressions tropicales génèrent des typhons, avec de fortes précipitations et des vents violents, qui deviennent particulièrement destructeurs lorsqu'ils atteignent la côte vietnamienne.
 Facteurs géographiques
L'étroite plaine côtière du Centre du Vietnam est bordée à l'ouest par une chaîne montagneuse (Truong Son) qui arrête les nuages venant de l'est. Les pluies s'abattent donc sur la montagne et les eaux s'écoulent alors très rapidement vers la plaine à cause des pentes relativement fortes du versant océanique. Comme de plus la plaine côtière se trouve à une très basse altitude, elle est fréquemment submergée par les crues, surtout si celles-ci coïncident avec une marée haute et/ou une montée du niveau de la mer due à l'arrivée de la dépression.
 Facteurs humains
La défoliation très importante à laquelle a été soumise cette région pendant la guerre, et la déforestation qui s'en est suivie pour répondre au manque de combustible, ont aggravé les ruissellements et les crues au cours du temps. Par ailleurs, avec des activités humaines concentrées dans les zones les plus exposées aux crues - principalement l'agriculture dans les plaines, le commerce et la pêche le long des fleuves et des côtes - et avec des habitations et des infrastructures généralement précaires, la vulnérabilité des habitants et de l'économie locale, face aux inondations, est évidemment très forte.
Les brindilles sur les fils montrent le niveau de la crue
Si on ajoute que cette région connaît aussi des sécheresses prolongées, possède une faible surface de rizière, compte tenu de sa population, et avait été la plus bombardée durant la guerre, il n'est pas étonnant qu'elle reste la plus pauvre du Vietnam.
Concernant plus précisément la crue et l'inondation de novembre 1999, on peut illustrer l'importance des phénomènes par les données suivantes :
 hauteur de pluie mesurée à Hué pendant la crue = 2 288 mm, soit plus de 80% des pluies moyennes annuelles,
 gradient de montée des eaux à Hué égal à 1 m/h en moyenne,
 niveau maximal des eaux à Hué 5,94 m, soit 1,06 m au-dessus de la crue historique de 1983 et 2,94 m au-dessus de la cote d'alerte maximale, la totalité de la plaine entourant Hué a été recouverte sous 1 à 4 m d'eau,
 les bâtiments publics à étages ont servi de refuges à des centaines de personnes, faisant parfois plier les structures,
 la montée des eaux dans la lagune a été telle que plusieurs passes nouvelles se sont ouvertes à travers le cordon littoral, provoquant de brusques et violents courants qui ont entraîné de nombreuses maisons situées au bord de la lagune, avec leurs habitants, et fait échouer un bateau de secours de la marine nationale, provoquant la mort de plusieurs marins,
 les habitations les plus touchées sont situées dans les vallées encaissées et dans les parties concaves des méandres du fleuve (érosion des berges),
 certains monuments historiques, particulièrement nombreux à Hué, ville classée au patrimoine mondial par l'Unesco, ont été très abîmés, mais sont heureusement réparables d'après les premières expertises.

LES ACTIVITES DE CODEV AU VIETNAM

Depuis déjà plusieurs années, des membres de CODEV, spécialisés dans les projets d'aménagement du territoire et d'ouvrages hydrauliques, participent à des groupes de travail ou conseillent des organismes vietnamiens chargés de la lutte contre les inondations dans la province de Thuâ Thien-Hué. Nous avons toujours attiré l'attention des responsables sur la complexité du problème de la protection contre ces inondations et sur la nécessité d'une approche intégrée des études concernant l'aménagement du bassin versant de la Rivière des Parfums (RP).
En 1998 et 1999, nous avons élaboré, au sein du Groupe de Travail de la RP, un projet pour réduire les pertes humaines et matérielles occasionnées par les crues et typhons. Ce projet, qui devrait être bientôt financé par l'Union européenne, comporte plusieurs volets tels que la prévision des phénomènes, l'alerte aux populations, la construction de refuges, l'organisation des secours, la formation de personnel, etc...Ce projet, auquel la Croix Rouge Internationale et la Croix-Rouge du Vietnam sont parties prenantes, intégrera de nombreux organismes vietnamiens et internationaux et probablement aussi d'autres ONG en plus de CODEV.
Le long de la rivière des parfums
LES PROJETS DE LUTTE CONTRE LES INONDATIONS

Parallèlement à ce projet, les autorités vietnamiennes voudraient pouvoir construire rapidement un grand barrage sur chacune des deux branches, rive gauche et rive droite, de la RP, avec l'aide technique et financière du Japon (avec, en première phase, la construction du barrage de Duong Hoa sur la branche rive droite).
Comme c'est souvent le cas, les avis divergent sur la nécessité de ces ouvrages. Il y a, d'un côté, des responsables et des techniciens qui soutiennent ces projets et ont peut-être un peu trop tendance, à notre avis, à compter uniquement sur ces barrages pour régler le problème des inondations et, de l'autre côté, des chercheurs et universitaires vietnamiens et étrangers, appuyés par des ONG à tendance plus ou moins écologiste, qui s'y opposent et préfèrent des "solutions plus douces". Notre opinion, à CODEV, sur la protection contre les inondations au Centre du Vietnam est beaucoup plus partagée.
Compte tenu de ce qui a été indiqué ci-dessus, nous pensons que les inondations sont des phénomènes naturels inévitables au Centre du Vietnam et qu'on ne peut les supprimer par la technique et l'argent. On pourra seulement, par ces moyens, diminuer leur importance et leur fréquence, limiter les destructions et - ce qui est essentiel - les pertes humaines qu'elles entraînent. Mais les Vietnamiens devront de toute façon continuer à s'organiser pour vivre avec cette menace permanente, à l'exemple des Japonais avec leurs séismes. Concernant le premier but qui est de réduire l'importance et la fréquence des inondations à Hué, nous sommes d'accord avec les responsables vietnamiens que la construction de grands barrages sur la RP est une solution indispensable et devra donc être réalisée tôt ou tard, d'autant plus que ces réservoirs permettront aussi de soutenir les étiages et d'augmenter les surfaces irriguées. Mais, comme les opposants, nous pensons que ces aménagements ne suffiront pas à résoudre à eux seuls les problèmes et qu'ils auront nécessairement de multiples interactions physiques, biologiques et économiques avec le milieu naturel, en particulier avec la lagune dans laquelle se déverse la RP. Ils présenteront des inconvénients qu'il convient d'identifier dès le niveau des études afin de pouvoir y remédier au maximum. Il ne faut donc pas se lancer dans la construction de ces barrages avant d'avoir évalué toutes leurs conséquences positives et négatives, car ces projets doivent être mûrement réfléchis et étudiés. Ce qui nous préoccupe actuellement c'est que, sous le coup de l'émotion provoquée par cette catastrophe et les pressions politiques qui s'en suivent, on soit conduit à réaliser de façon trop hâtive des ouvrages dont les effets seront insuffisamment évalués, simplement parce que des financements japonais pourraient être plus facilement obtenus dans ce contexte. Il nous paraît par conséquent plus opportun et efficace, dans une première étape, de s'attaquer aux conséquences de ces inondations, pour réduire les dégâts et surtout les pertes humaines, et de profiter de ce délai supplémentaire pour collecter des données fiables et entreprendre les études nécessaires.
En référence à l'expérience chinoise récente, nous avons aussi insisté auprès de nos interlocuteurs, d'une part sur les inconvénients qu'il y aurait à consacrer tous les crédits disponibles à des travaux de construction de grands barrages aux dépens de petits travaux d'entretien et de réparation des digues de protection existantes, et d'autre part aux risques entraînés par des endiguements mal étudiés qui pourraient avoir des conséquences néfastes.
Enfin, il nous a paru important de rappeler à certains responsables vietnamiens que le problème de la protection contre les crues ne peut se limiter à celui de la construction d'ouvrages hydrauliques. L'expérience internationale montre amplement que cette protection doit reposer sur bien d'autres mesures, telles que :
 la reforestation des bassins versants,
 les bonnes pratiques agricoles et les barrages biologiques,
 la prévision des typhons et des crues,
 les dispositifs d'alerte aux populations,
 les plans d'urbanisme et d'occupation des sols avec tous leurs aspects administratifs, réglementaires mais aussi répressifs,
 les règles de construction, notamment des bâtiments publics élevés,
 la mise en place des moyens de secours, l'organisation et la formation du personnel de secours, en cas de catastrophe,
 l'éducation des enfants: natation, secourisme, hygiène…

Il est à noter, d'une part que beaucoup de ces mesures, qui peuvent être classées parmi "les solutions douces", ont été retenues en priorité dans notre projet et d'autre part que les pertes humaines et les dégâts occasionnés par les récentes inondations n'ont fait que confirmer - plus rapidement et plus tragiquement que nous pouvions nous y attendre - la pertinence et l'urgence de ce projet.

Michel Ho Ta Khanh et Truong Quang Minh
Membres d'HSF et de CODEV