Ils parlent la même
langue que nous et nous ne nous comprenons pas ;
ils possèdent des valeurs proches et pourtant nos origines sont
lointaines ;
ils ont des femmes et ils ne leur témoignent aucun amour ;
ils ont des enfants et ils ne pleurent pas leur mort ;
ils…
Ils nous ressemblent et nous sommes si différents.
Des hommes fascinants ou rustres ;
des femmes muettes ou mères éternelles ;
des enfants cruels, fragiles et délaissés trop tôt
par l’insouciance ;
des sociétés obscures, impénétrables ;
des coutumes mystérieuses, barbares, grotesques ;
des rites sauvages et ancestraux ;
des symboles, des valeurs, des croyances lointaines, dont les fondements
n’ont rien de commun avec les nôtres ;
des activités oubliées ;
et puis des images menaçantes, irréelles, figées.
C’est une seconde naissance ; l’arrivée dans un nouveau référentiel
; une occasion d’apprendre, observer, questionner, s’interroger, réfléchir,
raisonner par soi-même, sur soi-même, sortir d’un carcan socio-culturel
rigide ; une façon d’aimer autrement, d’échanger différemment,
de découvrir d’autres formes de liberté, de beauté,
de bonheur, de pauvreté, de souffrance…
Et ceci sans perdre de vue le prétexte technique.
Le seul domaine sur lequel nous soyons autorisés à conserver
nos certitudes. Et ça tombe bien parce que c’est la raison pour
laquelle nous sommes là. Ce savoir faire justifie nos exigences,
à lui seul il légitime notre action et nous donne (presque)
toute liberté d’agir.
Mais du savoir être qu’en est-il ?
Quand bien même nous aurions fait nos preuves, est-ce une raison
pour vouloir (pour pouvoir ?) l’exporter partout ? Et que faire de l’existant
? Table rase ? On n’impose pas, en vertu des droits de l’homme, l’abolition
de l’esclavage comme on plante un barrage sur un socle granitique !
Organisation non gouvernementale, à vocation technique, Hydraulique
Sans Frontières a mis du temps à franchir le pas vers plus de
« globalité » dans ses projets, vers une ouverture aux disciplines
autres que Dame Hydraulique et ses dauphines, vers une prise en compte des attentes
des acteurs, de l’analyse de la demande, de l’étude d’impact des réalisations
sur les populations concernées, leur économie, leur environnement…
Et soudain quoi ! L’association tombe dans l’excès
inverse ?
Esclavage en Mauritanie, purification ethnique et intervention des
forces militaires de l’Otan au Kosovo (H2O n°27), plaidoirie sur les
Droits de l’Homme (H2O n°26), et j’en passe.
Mais c’est déjà trop.
S’engager dans un milieu associatif, c’est être prêt à
écouter, c’est faire preuve de tolérance et de désintéressement,
c’est faire la démarche altruiste et spontanée, volontariste
et consciente, d’accepter l’autre dans sa différence. Voire ! de
s’en nourrir. C’est s’abstenir de tout jugement sociétal ou conjoncturel.
Au lieu de cela, au lieu de raisonner localement, petite association
à taille humaine, Hydraulique Sans frontières se fait la voix
des institutions internationales qui de par le monde font la promotion
de leurs idées. Au lieu de cela, elle condamne à priori ou
à postériori, le conjoncturel comme le structurel, se faisant
le relais de discours politiques qui nivellent tout. Au lieu de contribuer
au maintien de la diversité de l’Homme dans son milieu, elle offre
sa participation au grand rouleau compresseur.
En deux mots, elle se trompe d’objet.
La question n’est pas de savoir si les pays dits développés ont
le droit ou non d’imposer de façon individuelle ou collective leurs valeurs
à d’autres. La question est de savoir s’il est de la vocation d’Hydraulique
Sans Frontières de véhiculer des messages d’ordre politique.
Je ne le pense pas. Je ne le crois pas. Je ne le souhaite pas.
Déjà parce qu’H2O risque de devenir rapidement un lieu de débat idéologique, si ce n’est un lieu commun d’expression de « ce que je pense sur… » ; ensuite parce que d’autres organisations, motivées par la défense d’intérêts, sont plus à même d’organiser la défense de causes éminemment politiques ; enfin parce que ce faisant, elle condamne sa mission associative.
Autres temps, autres lieux, autres objets ; après la religion, l’économie,
maintenant le social-politique ? On n’a pas fini d’expier les erreurs des colonisations,
que l’on reproduit déjà des schémas similaires. Et Hydraulique
Sans Frontières s’en fait le vecteur ? Non !
Aussi barbares puissent ces peuples nous paraître (Algérie,
Pakistan, Mauritanie, Kosovo, Afghanistan, Rwanda…), sommes nous prêts
à assumer les conséquences de nos interventions à
tous les niveaux ? L’Histoire nous a montré que non. Pas plus pour
eux que pour nous. Pas davantage en tant que citoyen qu’association.
Le devoir d’Hydraulique Sans Frontières est de garder sa lucidité, mais aussi son indépendance politique.