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Action militante… Action citoyenne…
 

Le mouvement d’humeur de Florence Pintus soulève des questions essentielles qui sous-tendent tout le débat autour de l’engagement humanitaire. Elles sont loin d’être nouvelles et anodines. Les instances « politiques » nationales et internationales ont su modeler ces questionnements à leur profit au nom de ce qu’ils ont appelé « le droit d’ingérence » depuis la guerre en Somalie. Les membres d’HSF auraient pu se croire à l’abri derrière leur vocation technique. Mais voilà les ingénieurs et les techniciens cachaient des êtres humains qui ont du mal à rester de marbre face à la douleur et à la souffrance. Ils ou elles ont souhaité s’exprimer pour comprendre et faire comprendre ce qui se produisait au-delà de la technique. Ce n’est pas du goût de tout le monde et c’est légitime. Il est également sain qu’un débat s’instaure et que toutes les opinions soient exprimées et entendues. Pour ma part je répondrai à un certain nombre de points compris dans la lettre de Florence Pintus.

On n’importe ni n’exporte de la technique en ignorant — dans tous les sens du terme — l’environnement social et culturel de l’exportateur comme de celui qui reçoit. La technique est un vecteur culturel au même titre que les arts, les lois ou les coutumes. Sa circulation comporte donc des aspects négatifs et des aspects positifs d’autant plus exacerbés dans les relations dites nord-sud, oh combien passionnelles. La vocation d’HSF est certes de transférer les savoir-faire de ses membres vers ceux qui en ont besoin et qui les sollicitent : d’où cette vocation à être toujours plus près des besoins des populations locales. Mais il ne faut pas faire preuve de trop d’angélisme car le transfert de technologie est tout sauf neutre.

C’est ce qui fait la différence entre HSF, EDF ou l’UNESCO lorsqu’elles interviennent dans un pays dit en développement. Comme la religion ou l‘économie, la technique est ce que chacun en fait. Heureusement qu’à côté des intérêts économiques des grandes industries, de la finance et de la realpolitik, il existe des associations mais surtout des militants qui placent la personne humaine au-dessus.

La question qui se pose n’est pas de savoir si l’esclavage, les sans-papier et la guerre ont leur place dans H2O mais plutôt de se demander quelles sont les limites que doit s’imposer HSF dans ses interventions. Autrement dit, la question est de savoir si HSF — dans sa vocation technique — doit intervenir dans un pays où tout ou partie de sa population pratique certaines formes d’esclavage, l’excision, la circoncision, l’épuration ethnique, la torture, le sacrifice humain, l’anthropophagie, ... La réponse est « oui » si des gens souffrent — je dirais même pour une seule personne qui souffre notre intervention serait légitime — et si nos compétences, nos expériences peuvent soulager et abréger ces souffrances.

Peut-être  ne devrions-nous pas utiliser H2O pour parler de ces choses-là. Mais en tant qu’ingénieur, chercheur, technicien, et surtout en tant qu’être humain devons-nous les ignorer ? L’humilité doit nous garder des préjugés et des jugements hâtifs ainsi que du cynisme mais non de la prudence, du questionnement et d’un certain réalisme.

La finalité d’un papier sur l’esclavage en Mauritanie était d’informer, non de juger, car nous n’en avons pas le droit en tant que scientifiques mais aussi en tant qu’étrangers. Je pensais avoir pris toutes les précautions nécessaires. Cependant, la pratique de l’esclavage passée et présente, fait partie des structures complexes de la société mauritanienne qui participent des relations de pouvoir, de la répartition des ressources naturelles et notamment de la terre. Aurais-je l’air de couper les cheveux en quatre si je mets en équation la question de l’esclavage en général, la condition de vie des populations serviles, le plus souvent sans terre et la vocation d’HSF de mettre ses compétences au service des plus démunis ?

Certes la vocation d’HSF n’est pas de faire de la politique ou de devenir un forum style « café du commerce » pour « une élite intellectuelle, dorée, cultivée et bien nourrie » mais l’action militante et associative n’est-elle pas un acte citoyen, donc politique. Que nous le voulions ou non, nous devenons acteurs des sociétés dans lesquelles nous intervenons. Devons-nous pour cela oublier qui nous sommes ? IMPOSSIBLE!

Notre présence même est un acte politique et nos actions sur le terrain constituent des « agressions » culturelles parce que sans le vouloir ou sans le savoir nous véhiculons des systèmes de valeurs, de représentations, des images et un héritage historique que rien ni personne ne pourra nous ôter. Nous avons tous fait suffisamment de terrain pour savoir ce que signifie « être né dans un pays européen ».

Annabelle BOUTET