La question de l’esclavage, en Mauritanie est un sujet tabou. Certaines affaires parviennent néanmoins à sensibiliser les médias. Mais combien sont dénoncées ? Pour quels résultats ? Il est toujours difficile d’obtenir des informations fiables. En 1998, le représentant de la Société anti-esclavagiste dénonçait une vente de 40 personnes, en Mauritanie, organisée en toute impunité en décembre 1997(1).
La société mauritanienne se compose de deux grands groupes
ethnico-culturels : les Arabo-berbères (couramment appelés
Maures) et les Négro-africains (Afro-mauritaniens).
Les Arabo-berbères regroupent les “Maures blancs” ou Beydanes
et les “Maures noirs” ou Haratine.
Les Négro-africains regroupent les Halpulaaren (composés
des Peuls et des Toucouleurs), les Soninkés, les Wolofs et les Bambaras.
Il est difficile de savoir si les communautés afro-mauritaniennes
pratiquent encore l’esclavage. Selon Philippe Marchesin(2)
et Amel Daddah(3),
il semblerait que oui. Ceci étant, la structure traditionnelle continue
de dicter les normes sociales, marquées par le clientélisme
et le paternalisme.
C’est essentiellement le cas de l’esclavagisme dans la société
arabo-berbère - autrement dit la situation des Haratine - qui a
fait l’objet d’études et d’une certaine médiatisation.
Un bilan de l’esclavage difficile à établir.
La communauté hartani représente près de la moitié de la population "maure", soit 30 % à 35 % au moins de la population totale(4). Depuis quelques années les Haratine essaient de se mobiliser et de sensibiliser l’opinion nationale voire internationale sur leurs conditions de vie. Enfin, ils ont été portés au devant de la scène mauritanienne lors des événements de 1989(5).
En 1986, Dominique Lefort rapportait qu’il y avait environ 50 000 esclaves de castes et 2 à 300 000 esclaves de fait, c’est-à-dire employés sans être rémunérés(6). Selon un représentant de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, 90 000 Afro-mauritaniens vivraient actuellement dans des conditions d’esclavage(7).
L’esclavage est le résultat de la domination des Beydane sur les Soudan, des Blancs sur les Noirs. En effet, le principal groupe pourvoyeur d’esclaves, a été celui des Bafour, l’autre "filon" étant celui du commerce transsaharien en provenance notamment du Soudan(8).
Les affranchis (Haratine - sing. Hartani) et les esclaves (abid) occupent
le bas de l’échelle sociale. Bien que négro-africains, ils
ont adopté la langue et les coutumes arabo-berbères de leurs
maîtres, d’où l’emploi du terme de "Maure noir".
Selon le droit coutumier, le captif est un bien qui appartient au maître
qui peut en disposer à son gré. Considéré juridiquement
en minorité légale, il ne peut être tenu pour responsable
de ses actes. Le maître a le devoir de lui fournir nourriture, habillement
et protection.
L’esclave peut être affranchi et devient alors un Hartani, libre de se fixer où il le souhaite. En pratique, il reste attaché à son maître pour des raisons à la fois personnelles et économiques.
Les conditions de vie des esclaves sont nettement déterminées
par celles du maître. L’esclavage en Mauritanie comme dans la plupart
des pays africains et moyen-orientaux où il est pratiqué
n’est pas un esclavage de plantation comme il a existé dans les
états du sud américain ou en Amérique latine. En général,
les esclaves sont employés aux tâches domestiques et économiques.
Une lente évolution soumise aux conditions
économiques et aux structures sociales.
Les conditions de l’esclavage évoluent lentement, moins grâce à l’action des pouvoirs publics que du fait de la dégradation des conditions économiques de nombreux maîtres.
L’esclavage a déjà été aboli trois fois au cours de ce siècle : par un décret colonial de 1905 ; par une interprétation implicite de la constitution de 1961 qui proclame l’égalité de tous devant la loi, enfin par l’ordonnance d’abolition de l’esclavage du 9 novembre 1981.
Le gouvernement a reconnu qu’il persiste dans certaines régions reculées du pays(9), mais la plupart des observateurs des organisations non gouvernementales dénoncent les pouvoirs publics, notamment locaux, qui demeurent favorables aux maîtres en dépit des textes. Dès lors, si certains maîtres affranchissent leurs esclaves par principe, la plupart le font pour des raisons économiques.
Suite à la période de sécheresse des années
1970 de nombreux maîtres se sont appauvris. Certains se sont reconvertis
dans l’agriculture mais la plupart tentent de survivre en exigeant de leurs
esclaves des parts plus importantes sur les récoltes. D’autres sont
venus gonfler les bidonvilles aux périphéries des cités
et notamment de Nouakchott.
Dans les campagnes, des conflits émergent à propos de
la propriété des terres agricoles. En effet, l’attitude des
anciens maîtres pour obtenir de nouveaux revenus porte atteinte aux
droits des Haratine qui revendiquent, désormais, le droit de propriété
sur des terres qu’ils ont toujours travaillées.
La réforme agraire engagée en 1983 devait apporter une base juridique à leurs revendications en établissant que la propriété des terres revient à celui qui les travaille effectivement(10). Finalement, cette réforme sert surtout les intérêts des entrepreneurs qui ont les moyens d’exploiter les nouvelles terres irriguées grâce aux programmes de développement, consécutifs aux travaux d’aménagement du fleuve Sénégal. Les Haratine sont encore marginalisés.
Dans les zones urbaines, la dénonciation des liens traditionnels est facilitée par les outils de la "modernisation" : l’éducation, l’accès à l’information, la fonctionnarisation, le développement des communications sont autant de moyens de lutter contre la marginalisation et la précarité.
Les Haratine ont investi les secteurs informels de l’économie et les métiers d’appoint que refusent les autres : bouchers, vendeurs ambulants, chauffeurs de taxi, par exemple. Cependant, rares sont ceux qui parviennent à sortir de la misère des kebba - littéralement les "dépotoirs" -. Coup du sort, ils y sont rejoints par leurs anciens maîtres.
Le 5 mars 1978, l’organisation El Hor - qui signifie l’homme libre - a été créée pour défendre les intérêts des populations serviles. Les objectifs étaient la libération, l’émancipation des esclaves, leur insertion dans la société par l’éducation et le travail et la reconnaissance de leurs droits politiques. Face à l’essor du mouvement, les autorités publiques ont pratiqué la politique de la carotte et du bâton, emprisonnant certains membres et proposant des postes à d’autres.
D’autres associations ont pris le relais comme SOS Esclaves qui a des projets de développement en faveur des Haratine avec l’éducation comme priorité, ou encore l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme(11).
Les revendications des Haratine s’inscrivent dans un processus de contestation qui ne se limite pas à l’abolition de l’esclavage. En effet, ils remettent en cause à la fois la domination "traditionnelle" des Beydane sur les Soudan et indirectement le système antidémocratique et inégalitaire du régime politique mauritanien.
Cependant, le fatalisme, la résignation face aux traditions et la situation économique n’encouragent pas les esclaves à abandonner leurs conditions d’existence et à engager la lutte contre leurs maîtres. De plus, la Mauritanie ne constitue pas un enjeu politique ou économique suffisant sur la scène internationale pour que les questions internes soient prises en considération.
(1) Commission des droits de l’homme (Nations unies), sous commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, “ Les participants évoquent la question des ‘femmes de confort’ et des formes d’esclavage déguisé. ”, DPI-Press releases, 14 août 1998.