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Wompou. Août 1998. Du côté des sociologues.

En premier lieu, il s’agissait de définir les facteurs de pérennisation du projet d’aménagement du lac. Pour cela, je devais identifier les paramètres politiques, économiques et sociaux pouvant contribuer à la réussite du projet — ou à son échec — : la situation et les activités économiques, la structure sociale traditionnelle déterminant la répartition des richesses et notamment des terres, les compétences disponibles sur place, la volonté des habitants de s’impliquer dans un projet à long terme, les institutions politiques existantes, la capacité de la population à assurer la gestion des ressources pour le bien de la collectivité.

En second lieu, la mission avait pour tâche de permettre aux villageois et à l’association des travailleurs de Wompou en France de constituer les dossiers pour la recherche des financements. Il fallait donc tenir compte des contraintes et des principes auxquels les bailleurs de fonds sont sensibles : la protection de l’environnement, l’amélioration des conditions de vie, en particulier, des groupes sociaux les plus vulnérables comme les femmes et les enfants, la capacité à l’autogestion et à la gouvernance locale.
 
J'ai donc consacré ma mission à trois tâches complémentaires :

la rencontre avec les représentants des différents pouvoirs — traditionnel, territorial et représentant de l’État central —, 

les rencontres informelles avec les habitants du village et 

les entretiens avec un certain nombre d’entre eux dont la place dans le tissu social ou les activités sont apparues pertinentes pour le projet.

Le présent article s’attache à exposer trois éléments déterminants dans le contexte socio-économique : l’organisation traditionnelle de la société, la gestion et l’exploitation des terres et les institutions collectives.

Anthropologie de la société de Wompou.

Mes travaux ont eu pour objectif de comprendre l’organisation sociale, politique et foncière — les trois dimensions sont intimement liées — de la communauté Soninké, l’ethnie dominante à Wompou1.

La société Soninké est une société segmentaire2 construite sur un ancien ordre de castes3. Elle est patrilinéaire, ce qui signifie que l’organisation sociale, les modes de filiation et de transmission du patrimoine sont régis par la seule paternité. Elle est patriarcale et patrilocale, fondée sur le pouvoir exclusif du doyen autour duquel la famille se regroupe.

La spécificité de la structure familiale soninké réside donc dans le fait que plusieurs ménages consanguins vivent ensemble au sein de la concession familiale, travaillent les mêmes champs et partagent les repas. Tout est centralisé entre les mains du chef de famille qui décide des récoltes comme des mariages.

Le village de Wompou rassemble plusieurs lignages mais il est dirigé par un chef issu du lignage fondateur, la famille des Soumaré. Ses membres détiennent des droits politiques et fonciers étendus. C’est le doyen de la famille, Autoum Soumaré, qui exerce la fonction de chef de village.

Organisation et répartition des terres.

Wompou, à l’instar d’autres villages de la zone dispose d’un terroir qui comprend des terres wallo — culture de décrue — des terres dieri — culture sous pluie —, ainsi qu’un espace agro-pastoral et trois périmètres irrigués villageois4. À cela, il convient d’ajouter les jardins de décrue situés dans l’emprise du lac, qui ont été " colonisés " par les femmes pour la culture des arachides et le maraîchage.

Le dieri et le wallo constituent la base de la répartition traditionnelle des terres.

Le wallo est formé par l’ensemble des terres inondables. Le wallo de Wompou est situé sur les rives du Sénégal, sur une bande qui ne dépasse pas 2 km de largeur, et aux abords immédiats de la mare. Cependant, l’aménagement du fleuve en amont, la sécheresse et l’ensablement de la mare ont largement contribué à l’abandon de la culture de wallo qui ne bénéficient plus de la générosité des crues. Nombre de terres wallo sont à présent cultivées sous pluie.

Le falo est constitué par les terres situées sur la berge du fleuve ou des marigots. Régulièrement inondé, mais d’une superficie restreinte, il constitue la partie la plus attractive économiquement et reste le domaine réservé des chefs traditionnels qui cultivent généralement le maïs et le maraîchage.

Le hollalde ranere représente les superficies les plus larges du wallo en bordure de la mare et du fleuve, où les hommes pratiquent la culture du mil et du sorgho. C’est sur ces terres que sont établis les collade — sing. collengal —. Le collengal est le terroir qui appartient à la famille étendue et qui est exploité en commun. Il fait l’objet de règles très strictes d’appropriation et d’utilisation et a été réparti, à l’origine, entre les familles les plus influentes du village. Il est en indivision, ne peut être vendu ou échangé sans l’accord de l’ensemble des membres de la famille.

Néanmoins, le chef de famille règle les conflits fonciers et fixe la date de démarrage des récoltes sur le terroir familial. C’est lui qui, en début de campagne, décide de la répartition des terres. Ainsi, dans la mesure du possible, il assure des terres à chacun des membres de la famille.

Le dieri correspond à l’ensemble des terres hautes non inondables, il est donc cultivé sous pluie. Il représente l’essentiel des surfaces cultivables de Wompou. En raison de son abondance et de sa faible valeur agronomique, son utilisation est soumise à des règles souples d’appropriation. En général, qui veut exploiter une parcelle libre peut le faire sans autorisation préalable et sans considération pour son appartenance ethnique ou sociale. Les terres dieri servent de réserve en cas de besoin exceptionnel.

La réhabilitétion du lac soulèvera un certain nombre de problèmes en matière de répartition et de gestion des terres.

En premier lieu, il sera nécessaire d’étudier le meilleur moyen de gérer l’eau dans la perspective d’un système d’irrigation se substituant aux méthodes utilisées actuellement.

En outre, les travaux de réhabilitation auront pour conséquence la disparition des jardins installés par les femmes dans le lit de la mare. Nous avons attiré l’attention des notables du village sur la nécessité de réfléchir au moyen de remplacer cette perte. Une solution est indispensable car le maraîchage permet un apport alimentaire complémentaire, voire un revenu d’appoint.

Le troisième volet de notre enquête a été l’identification des institutions collectives sur lesquelles il sera possible de fonder la pérennisation du projet.

Les institutions collectives de Wompou.

Le village de Wompou dispose d’organisations communales que nous pouvons répartir entre le milieu associatif et le milieu polico-administratif.

Le milieu associatif regroupe la coopérative des hommes, celle des femmes, les organisations de la jeunesse, et à l’extérieur, l’association des travailleurs de Wompou en France. Le milieu polico-administratif est essentiellement structuré par le fonctionnement du pouvoir traditionnel, de l’administration municipale et des " services publics " dont fait partie la gestion de l’eau potable.

J’ai retenu trois exemples qui me semblent les plus pertinents et qui concernent les femmes et les jeunes. Les femmes interviennent à un double titre dans le cadre de la coopérative et dans la gestion de l’eau potable. Les jeunes, regroupés dans deux associations, organisent différentes actions dans le domaine de l’assainissement, de la santé et de l’agriculture.

L’association des femmes

La coopérative des femmes a été créée en 1987 et regroupe actuellement 429 femmes mariées.

Leur principale activité est le maraîchage qu’elles pratiquent sur deux terrains : un jardin près de la mare exploité en culture de décrue et un périmètre irrigué équipé d’une moto-pompe, situé près du fleuve.

Les terrains sont divisés en 2 parties. Une parcelle est réservée au travail collectif dont les produits sont destinés à la vente au profit de la coopérative. L’autre partie a été divisée entre les femmes qui exploitent leur parcelle pour leur propre compte.

La seconde activité de la coopérative est liée à un programme récent de l’UNICEF de développement de la santé communautaire et de lutte contre le paludisme. Dans le cadre de ce programme, l’idée est de responsabiliser les communautés rurales dans la prise en charge de la santé et de l’hygiène grâce à la mise en oeuvre de campagne de sensibilisation et de formation, auxquelles sont associés les femmes et les jeunes en priorité.

Les femmes de Wompou ont la tâche d’imprégner les moustiquaires et de les vendre. Pour cela, elles perçoivent 20 % du prix de l’imprégnation fixé à 150 UM5.

Au cours de nos rencontres, les femmes ont exprimé leur volonté de donner un nouveau souffle à la coopérative. Elles souhaitent développer d’autres ateliers lucratifs, tels que la couture ou la teinture des tissus.

Une autre tâche qui incombe aux femmes de Wompou est l’approvisionnement et la gestion de l’eau potable.

L’approvisionnement du village est principalement assuré par trois bornes-fontaines alimentées par un forage à l’énergie solaire.

Avant le 1er juillet 1998, la tarification était forfaitaire. Chaque foyer payait une redevance mensuelle de 150 UM pour faire face aux différents frais. En outre, les femmes étaient astreintes à une discipline. Elles ne pouvaient puiser de l’eau que par des seaux ou des bassines. Un fontainier orchestrait l’ouverture et la fermeture des robinets entre 6 heures et 20 heures, tous les jours.

Le système a été modifié après la mission d’Olivier Le Masson, du GRET, qui nous a précédées de quelques semaines. Le paiement forfaitaire encourageait le gaspillage et favorisait les mauvais payeurs.

Depuis lors, l’eau est payée au volume. Les trois femmes attachées aux bornes perçoivent 2,5 UM par bassine de 30 litres, dans la limite de deux bassines par passage.

En outre, les " fontainières " doivent veiller à ce que tout se passe en bonne intelligence et régler les conflits éventuels. Néanmoins, le maire et la police sont obligés d’intervenir lorsque les discussions dégénèrent. Ces emplois sont rémunérés par un salaire mensuel fixe de 3000 UM plus 10 % des recettes.

Enconséquence de quoi, les femmes nous apparaissent particulièrement bien placées pour prendre une part active à des projets liés au développement de la mare. Cette participation peut se situer dans le cadre de leurs activités collectives et domestiques. Néanmoins, il semble nécessaire de développer les compétences en matière d’hygiène, d’assainissement et de gestion pour plus d’efficacité et d’autonomie.

Les associations de jeunes
 
La jeunesse constitue également un élément important de la population de Wompou. 

Il faut distinguer deux groupes principaux.

Les jeunes qui résident en permanence à Wompou constituent la population la plus vulnérable. La plupart n’ont pas poursuivi d’études au-delà de l’école primaire et sont directement touchés par la situation économique et sociale du village. Ils représentent le principal creuset de l’immigration précaire vers Nouakchott, à défaut de pouvoir s’expatrier en France.

Le second groupe est celui des écoliers et des lycéens qui sont scolarisés ou étudiants à Nouakchott. Ils reviennent à Wompou pour les vacances scolaires et participent aux activités villageoises.

Il existe en fait deux associations (83 garçons et une cinquantaine de filles), représentées au sein de l’association de la jeunesse de Wompou, à laquelle est intégrée l’association des écoliers.

En dehors de l’organisation de soirées durant l’été et d’un tournoi de foot, les deux associations ont plusieurs missions et activités sur lesquelles pourraient s’appuyer des initiatives liées à la réhabilitation du lac

Tout d’abord, l’association des écoliers met en place, durant les vacances estivales, des ateliers d’alphabétisation pour les plus défavorisés.

Ensuite, dans le cadre du programme de santé communautaire de l’UNICEF, ils proposent des séances de sensibilisation et d’information sur la santé et l’hygiène. Cette année, ces séances devaient prendre la forme de pièces de théâtre. Dans le même cadre, ils organisent, tous les lundis, des travaux d’assainissement durant lesquels ils tentent de nettoyer les voies publiques et les abords du village. Mais leur action est un véritable supplice de Sisyphe car ils rencontrent des difficultés à faire reconnaître l’utilité de leur travail au reste de la population.

Enfin, l’association des jeunes dispose d’un périmètre qu’ils travaillent en maraîchage durant la saison sèche.

Les conclusions de mes travaux ne laissent aucun doute quant à la nécessité d’aménager le lac de Wompou. Les témoignages que j’ai recueillis accréditent le fait qu’il a longtemps été une des bases de l’activité économique et sociale, en fertilisant les terres, en abreuvant le bétail, en fournissant l’eau pour les activités domestiques et en abritant un écosystème favorable à la pêche et à l’équilibre de l’environnement.

Mes enquêtes ont également montré la dimension que doit prendre le projet si nous — le " nous " inclut HSF, l’Association des travailleurs de Wompou en France et surtout la population — voulons que l’ensemble de la population en bénéficie.

D’un point de vue économique, la réhabilitation du lac devra contribuer à la remise en valeur des terres et au retour de la faune aquatique, mais en tenant compte des équilibres écologiques. Autrement dit, il faudra prendre en compte la protection des ressources naturelles en définissant les meilleurs usages pour éviter leur dégradation et leur gaspillage. En outre, le couvert végétal qui protégeait le lac et le village contre l’érosion et l’avancement du désert devra être reconstitué.

D’un point de vue social, il est essentiel de construire un mode de communication et d’échange entre les forces vives de Wompou. En effet, pour une société ethniquement homogène, il subsiste une absence quasi totale de dialogue entre les différents groupes et les institutions due essentiellement aux contraintes établies par les traditions, telles que les barrières entre les générations fondées sur la structure patriarcale7.

J’insiste donc sur la nécessité d’établir une approche intégrée — qui englobe tous les facteurs sociaux, politiques et économiques — et tenant compte de l’ensemble des acteurs concernés dans une même perspective pour la pérennisation de la réhabilitation du lac.

Annabelle BOUTET 1 Quatre groupes ethniques constituent le tissu social de Wompou. les Soninké, les Peuls, les Maures noirs et les Maures blancs.

2 Elle repose sur une structure lignagère. La lignée correspond à un groupe de parentés pouvant retrouver généalogiquement sans interruption un ancêtre commun, selon un système de filiation donné.

3 L’ancien système divisait la société en 3 castes : les nobles, les marabouts, les esclaves auxquelles il faut adjoindre le groupe séparé des griots.

4 Un seul périmètre est utilisé et géré par la coopérative des hommes. Il est équipé de deux moto-pompes qui captent l’eau directement du fleuve Sénégal. Un deuxième périmètre a été planté d’arbres fruitiers par l’un des ressortissants, Omar Soumaré. Le dernier périmètre est à l’abandon.

5 1 franc = 35 ouguiyas mauritaniens.

6 Les hommes et les femmes sont considérés " jeunes " aussi longtemps qu’ils sont célibataires. Cette répartition régit leur intégration dans les différentes institutions villageoises et pour les hommes leur droit à la parole dans le conseil du village.

7 Je ne parle même pas des représentants du pouvoir central et des autres communautés ethniques exclus, sauf quelques rares exceptions, du tissu social.