La notion d'écologie est ambiguë. Le mot, formé sur le grec oïkos , maison, a été créé en 1866 par le biologiste E.Haeckel. Michel Serres précise " Voilà donc une maison et qui ne sait pas que le terme écologie signifie simplement théorie ou discours de la maison? Du site, de la niche, de l'habitat ...en tout, des lieux propices et propres aux vivants" Le Nouveau Petit Larousse Illustré la définit en 1976 comme " Etude scientifique des rapports des êtres vivants avec leur milieu naturel". Voilà pour la "théorie" de la maison. Et il ajoute une seconde définition " Défense du milieu naturel, protection de l'environnement " Voilà pour le "discours " de la maison. L'écologie scientifique entretient des rapports ambivalents avec le mouvement social qui porte le même nom et cherche à s'en démarquer. Le langage distingue d'ailleurs désormais l'écologue, instruit en écologie, de l'écologiste, partisan de l'écologie..
L'Homme, cette merveille. exceptionnnelle...
L'écologie, qu'elle soit science ou défense de l'environnement, conduit à poser en des termes inédits, mais différents, la question des rapports de l'homme avec la nature et à reposer la question de sa place et de sa propre nature. Cette place que lui assignait notre culture a été évoquée par Sophocle ( 442 av JC). Dans un choeur d'Antigone, on peut lire ces vers qui constituent l'homme comme exception au sein de la nature: " Il est bien des merveilles en ce monde ! il n'en est pas de plus grande que l'homme Il est l'être qui sait traverser la mer grise...et qui va son chemin au milieu des abîmes que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l'être qui tourmente...la Terre éternelle et infatigable avec ses charrues qui vont chaque année, la sillonnant sans répit...Les oiseaux étourdis, il les enserre et les prend, tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets. L'homme a l'esprit ingénieux....Parole, pensée vive comme le vent, aspirations d'où naissent les cités, tout cela il se l'est enseigné à lui même...Mais, ainsi maître d'un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute son espérance, il peut prendre ensuite la route du mal comme du bien..." Ainsi l'Homme se distingue par l'étendue et l'ingéniosité des choses qu'il sait faire. A l'égard des autres animaux et des éléments naturels il établit un rapport qui relève d'une pensée dont le trait essentiel est l'inventivité technique. L'homme se constitue d'une certaine façon lui même ( il s'enseigne !) et crée des cités séparées de la nature. Ainsi, à la différence de l'animal, il doit choisir entre deux routes : le bien et le mal.
La nature a t elle des droits ?
La question éthique et notamment celle de la responsabilité humaine se poserait en d'autres termes aujourd'hui en raison de la vulnérabilité critique de la nature consécutive à l'intervention technique. " Rien de moins que la biosphère entière de la planète s'est ajoutée à ce pour quoi nous devons être responsable " écrit Hans Jonas. Que la responsabilité humaine s'étende à la nature est nouveau mais l'obligation qui s'y manifeste est elle radicalement différente de celle de l'éthique classique? L'intérêt pour la conservation de la nature serait utilitaire. Il s'agirait de ne pas scier la branche sur laquelle on est assis. Cet intérêt est considéré comme moral si la conservation de la nature se réfère au destin de l'homme englobant de nouvelles réalités et face aux effets irréversibles et cumulatifs de l'action humaine.. Devant un Prométhée jugé " définitivement déchaîné " des penseurs, tels H. Jonas et le mouvement de l'écologie radicale en viennent à poser la question de l'obligation vis à vis de la nature en des termes qui rompent avec l'humanisme. Ils instituent la nature, bêtes et plantes, en sujets de droits et non plus en simples objets du droit. Cette rupture est analysée par Luc Ferry qui pose en ces termes le problème " Faut il pour assurer la protection de notre environnement que nous lui accordions des droits égaux, voire supérieurs à ceux des êtres humains ? Jusqu'où et en quel sens peut on parler de "droits de la nature" ? Reconnaître une certaine dignité à la nature implique-t-il la destruction radicale de l'humanisme sous toutes ses formes? "
Les 3 conceptions des droits de la nature.
Il est possible de distinguer trois positions idéologiques dans l'écologie contemporaine en fonction de cette question des droits de la nature. La première ne reconnaît à la nature aucun droit et aucune valeur propre. La nécessité de la protection repose uniquement sur le fait que l'environnement est la périphérie d'un centre qui est le genre humain. Ce dernier reste le seul sujet de droit, il n'y a pas de fins supérieures à lui. C'est ce qu'on nomme " l'environnemental ". La deuxième position reconnaît à la nature certains droits. Tous les êtres capables d'éprouver plaisir et souffrance sont intégrés à la sphère du droit. Il s'agit de maximiser tout le bonheur possible et de diminuer la somme globale de souffrance dans l'Univers. Selon ce principe, propre aux utilitaristes, il n'y a pas de raison de ne pas inclure les animaux dans la sphère des préoccupations morales et juridiques. Ce courant présent aux Etats Unis et en Australie légitime le " mouvement de libération animal" de Peter Singer. Il regroupe près de 20 millions de sympathisants dans les pays anglo-saxons. La troisième position correspond à ce que l'on appelle aux Etats Unis " l'Ecologie profonde " Elle entend inverser l'ordre des priorités par rapport à la tradition humaniste. Au lieu de placer d'abord les hommes dans l'ordre des priorités, puis les espèces animales, puis les espèces végétales et le monde minéral, l'écologisme profond donne la priorité à la Terre ( la biosphère) et réduit le genre humain à une espèce plutôt antipathique capable de se révolter contre la nature, de la polluer et de la détruire.
M.Serres et le contrat naturel.
En France, Michel Serres s'inscrit dans ce courant en introduisant le principe d'un "contrat naturel "s'adjoignant au contrat social. Ce contrat naturel, contrat avec la nature, à la différence du contrat social, ne serait pas simplement un contrat entre les hommes comme celui qui fonde la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen . D'autres , tel Lovelock, ( "Gaïa") présentent la terre comme un être vivant , la biosphère comme le seul véritable sujet de droit. On le voit cette position implique une critique radicale de la modernité car si la nature est dotée de droits prioritaires et la biosphère constituée en vrai sujet de droit, la civilisation humaniste et technique est engagée dans une mauvaise direction. Un demi-tour s'impose. L'Humanisme politique, fondé sur une conception de l'Homme sujet de droit, reconnaissant des droits à la personne , est aussi mis à mal par les interprétations les plus radicales de l'écologie profonde.
Les contradictions de l'Ecologie profonde.
Si chacune des trois positions exigeait une critique interne précise, nous voudrions faire état de quelques difficultés logiques propres à l'écologie profonde dont l'antimodernisme, voire l'hostilité à l'idéal d'un esprit public capable de réunir les hommes (la République) peut, par son dogmatisme, générer bien des confusions. Si les écologistes profonds fondent leur programme sur le rejet de l'anthropocentrisme au nom des droits de l'écosphère ils ne sont eux mêmes pas à l'abri de formes récurrentes d'anthropocentrisme. Les arbres de la vallée de Mineral King, les montagnes, les lacs, on leur suppose des intérêts opposés au développement. Mais qu'en sait-on ? " Les écologistes profonds ne sont ils pas eux mêmes anthropocentristes lorsqu'ils prétendent savoir ce qui est le mieux pour l'environnement naturel?" De son côté Luc Ferry fait remarquer que les écologistes profonds en viennent à oublier que toute valorisation, y compris celle de la nature, est le fait des hommes et que, par conséquent, toute éthique est humaniste. Et de conclure " L'homme peut décider d'accorder un certain respect à des entités non humaines, à des animaux, à des parcs nationaux, à des monuments ou des oeuvres de culture : toutes restent toujours, qu'on le veuille ou non, des objets et non des sujets de droit. Le projet d'une éthique normative antihumaniste est une contradiction en soi ". Enfin, face à l'hostilité pour le monde moderne de cet écologisme radical il faut rappeler que la valorisation de la nature dans l'absolu, voire sa sacralisation, achoppe sur le problème de l'hostilité de la nature car la nature n'est pas qu'harmonie et lieu accueillant : cyclones, virus, séismes, sont générateurs de " catastrophes naturelles ".
Aussi la protection de la nature et sa modification peuvent et doivent être conjointement envisagées. Au lyrique contrat naturel et son cadre juridique métaphorique, ne faut-il pas préférer le cadre politique, si des réformes débattues peuvent naître des solidarités plus fermes entre les hommes d'aujourd'hui et de demain?
Ouvrages cités :