C'est au tour de Yann et Yannick de nous faire partager leur découverte du village : son histoire, ses coutumes, son organisation issue d'une longue tradition, les influences qu'il a subies... Histoire du village de SAYA
Au départ, le village n'était qu'une grande propriété terrienne menée par un riche Bolivien ; c'était ce qu'on appelle une latifundia.Elle fut ensuite léguée à deux jeunes travailleurs. Le propriétaire s'en allant du site leur laissa quelques esclaves pour assurer la survie du lieu. C'est pourquoi la majorité des habitants appartiennent à deux familles principales, aujourd'hui pourtant mélangées. On dit que plusieurs civilisations passèrent sur le site. En effet, on retrouve à diverses altitudes (notamment près du rio de la Paz, entre 1300 et 2000 m) des céramiques, des restes humains ainsi que des ruines archéologiques de différentes époques. Vers 4000 m, au sommet d'un col, on distingue une organisation de petites maisons de 2 m sur 3. Une hypothèse plausible serait que ces ruines aient appartenu à la civilisation Mollo, vers 1200-1400 ans av. Jésus Christ. Cependant, peu de recherches scientifiques ont été menées, ce qui explique la méconnaissance de cette histoire. Seules des "quêtes de trésor" ont été entreprises,... sans succès !
Les gens du village nous ont rapporté plusieurs légendes. ...Saya est situé à flanc de montagne au-dessus du rio de la Paz et fait face à un autre village sur la rive opposée. Un jour, des personnes de chacun des villages trouvèrent une vierge et un Jésus richement décorés. Saya s'octroya le Jésus (une très belle pièce conservée à l'église) et l'autre village la vierge. Voilà pourquoi il naît plus de garçons que de filles à Saya, et l'inverse dans l'autre village.
...Il est aujourd'hui impossible d'envisager de changer le linge du Christ. Par deux fois, les villageois ont tenté de le laver ou de le remplacer et aussitôt une tempête aussi ventée que pluvieuse s'est levée, endommageant gravement l'église, en particulier la toiture. Organisation exemplaire
Deux maçons, Abel et Dionysos (où donc est passée la mythologie aymara?) disposent impeccablement les pierres que nous leur apportons pour réaliser le mur en maçonnerie. Pendant ce temps, une dizaine de jeunes et vieux s'escriment comme des damnés sur un rocher particulièrement impressionnant afin de l'acheminer dans l'enrochement. Le sourire jusqu'aux oreilles, ils nous demandent ce que nous pensons de leur effort : - "Que piensan de este trabajo ?" - "Hualiqui !" (très bien) répliquons-nous. Tous éclatent de rire. C'est le mot aymara le plus drôle dans la bouche des "gringos"1.
Cette scène est assez représentative. Les villageois pratiquent aussi bien l'espagnol (enseigné à l'école) que l'aymara, ne faisant pas toujours la différence entre les deux. Ils s'organisent autour de travaux communautaires comme la restauration de l'école, la construction de la route, le barrage... C'est tous ensemble qu'ils s'attellent aux projets, collectifs ou même personnels. Une organisation très stricte est la caractéristique principale des sociétés aymaras. A l'occasion du barrage par exemple, ils ont créé différents comités : - gestion des travaux - gestion de l'eau... Chaque famille doit fournir un travail précis dans un délai précis, pour le bon fonctionnement du village et de ses infrastructures et pour avoir le droit de bénéficier des résultats du travail fourni par la communauté.
Un dimanche à SAYA
A Saya, le dimanche commence comme n'importe quel autre jour de la semaine: tout le monde se lève en même temps que le soleil, vers 6 heures, pour préparer le petit déjeuner constitué : - d'une infusion d'écorce de café, sucré, servi dans une tasse de céramique bleue ou blanche, parfois décorée d'une fleur et portant les initiales de la familia inscrites à l'indélébile noir au dos de la tasse - d'un petit pain doré rond et plat à base de farine de blé cuite au four, ou bien d'un pain de maïs enroulé dans une feuille... de maïs (attention ! On ne mange pas la feuille!) Le petit déjeuner englouti, chacun va s'occuper de sa récolte ramassée pendant la semaine, vanner son grain, puis l'étaler au soleil pour le faire sécher. Ensuite, on va se laver, chose qui n'est pas quotidienne au village, et on s'habille, car "aujourd'hui, c'est dimanche !" Tenue correcte exigée : short, T-shirt et chaussures de foot ; tout cela absolument propre. Puis on va au terrain situé à l'entrée du village devant l'école, sans oublier de passer chercher les "gringos" -quand il y en a- lesquels "gringos" sont en train de jouer aux cartes. Ceux-ci sautent alors dans leurs baskets et vont au stade: "on va leur mettre le feu !" Sur le terrain de foot, Armin, habillé de la panoplie du parfait footballeur aux couleurs de son équipe, est en train de marquer les lignes sur la terre battue. Sur le côté, des briques en terre sèchent au soleil..Près de l'école, l'instituteur, arbitre de chaise pour l'occasion, a sorti une table et un banc de l'école et commence à prendre les inscriptions : il faut savoir qu'il y a quand même 6 équipes de foot pour un village qui ne compte que 500 habitants ! A côté, des groupes de femmes arrivent en discutant, s'asseoient sur les abords du terrain, ou sur le petit muret qui borde la rue passant au-dessus du terrain. D'autres installent l'étalage de bonbons, boissons (quina-cola, jus de pêche et jus de cacahuètes), petits pains et des verres d'une gelée rouge au goût de fraise Haribot qui semble importée directement d'Angleterre. Mais revenons aux inscriptions : attention, c'est 0,5 bolo2 pour la journée, et il faut obligatoirement présenter sa licence de foot. On constitue ensuite les équipes. Aujourd'hui, il y aura une équipe du village d'à côté. Sur le terrain, des enfants chaussés de sandales en pneus de voiture jouent au foot avec Armin en attendant le début du tournoi. Enfin, les équipes sont constituées ! Pour le premier match, Armin jouera contre son père Abel. L'arbitre siffle l'engagement. C'est parti ! Et le terrain est déjà noyé dans un nuage de poussière... alors que les condors volent au-dessus du village, sous le regard paternel et bienveillant de l'Illimani qui semble dominer les Andes du haut de ses 6480 mètres. Flûûûû!!! Tarjeta amarilla (carton jaune) ! La faute a été sévèrement sanctionnée. Il en coûtera 1 Bolo au fautif, et cela malgré les réclamations à la fin du match. Eh oui! Les fautes, même au foot, se paient cher en Bolivie ! A la table d'arbitrage, on ne plaisante pas ! Et toute la journée se passe ainsi : passes, tirs, plongeons dans les buts, coups de sifflet de l'arbitre et encouragements de la foule ; car tout le village est là. Et si par chance, un match national est retransmis à la radio, vous aurez le bonheur d'assister à deux matchs en même temps !
Vers 17 heures, juste avant le coucher du soleil, les joueurs vont se laver à la borne-fontaine en bas du village. Car il faut maintenant se préparer pour la fête de ce soir où couleront à flots bière de maïs et Singani. On va leur montrer, aux "gringos", ce qu'est une fête en Bolivie !
Les influences extérieures
SAYA, "petit village perdu dans la Cordillère des Andes", ce n'est pas un cliché ! Bien que le village soit "seulement" à 70 km environ à vol d'oiseau de La Paz, il faut 20 heures de camion plus 1 heure 30 de marche pour y accéder. Le village le plus proche est à 2 heures de route (plus la marche d'1h30). Il est donc bien situé dans un endroit reculé et cependant les influences de la civilisation occidentale se font sentir, même ici. La première chose qui frappe lorsqu'on entre dans le village est l'habillement. Il faut savoir que l'habillement a évolué selon les époques et l'envahisseur du moment. Pizarro avec ses conquistadores espagnols en 1530 a obligé le peuple aymara qu'il avait soumis à abandonner ses vêtements traditionnels pour porter les tenues des colonisateurs : moyen de leur faire perdre leur identité culturelle et d'empêcher tout regroupement, soulèvement et rébellion. Quelques siècles plus tard, les colons espagnols décidèrent qu'une distinction devait être faite entre espagnols, métis et indiens. Ségrégation et discrimination sont les moyens de maintenir les privilèges. Ainsi, dans les danses folkloriques boliviennes qui représentent la lutte des indiens contre les espagnols, les costumes jouent un rôle important. Aujourd'hui, l'habillement occidental est adopté , mis à part quelques femmes, souvent âgées, qui gardent le costume andin traditionnel avec le célèbre chapeau rond. Les hommes portent des jeans et parfois même des complets, plus ou moins usés et des sandales fabriquées dans des pneus de voitures ou de camions. Les seules chaussures fermées qu'ils possèdent sont des chaussures de foot, en toile, pour le dimanche (avec la tenue de foot). Les femmes portent T-shirt, pull, jupes avec jupons, ainsi que des chaussures occidentales à petits talons. Il est vrai que la majorité va rarement, voire jamais, à La Paz.
L'alimentation ne subit guère d'influence extérieure, à quelques détails près : l'inévitable coca-cola sous la forme d'une pâle copie appelée quina-cola (avec ses bouteilles en verre, consignées et qu'il ne faut surtout pas casser) et les pâtes que l'on rajoute dans la soupe en petites quantités. Tout cela ainsi que les gâteaux secs, les bonbons, les fameuses gelées rouges appelées "royales", les indispensables bouteilles de cerveza,(bière de maïs) arrive de La Paz par camion une fois par semaine, le jeudi.
La politique ? Ici, ce n'est pas encore la démocratie ! Une fois tous les trois ans, à l'occasion des élections, les représentants des deux partis les plus importants viennent ; tous se disent "révolutionnaires" et brandissent leurs slogans comme "un toit, du pain et du travail" (Cela ne vous rappelle rien ?) Le nouveau slogan de Banzer, ancien dictateur de 1971 à 1978 et Président actuel de la Bolivie grâce à une alliance avec les socialistes, a radicalement changé : "ordre, pain, travail". Ses représentants distribuent casquettes, posters, calendriers à la gloire du parti, à l'effigie du (presque patibulaire) Sauveur du peuple. Son nom est peint en gros caractères sur tous les murs, les rochers et les pierres ,... et même sur les sites archéologiques incas, sans craindre de détruire le paysage ! Bien entendu, une fois les élections passées, on n'entend plus parler de ces messieurs au village et le gouvernement n'intervient en rien sur l'organisation administrative, surtout pas pour donner les subventions promises. Ainsi, Saya est encore relativement "protégé" des excès de la civilisation occidentale, malgré les départs de plus en plus nombreux pour La Paz. Et en partant, lorsque nous disons "au revoir" à Mickey, Edwin, Abel, Elsa et Dionysos, nous avons l'impression de quitter un monde originel où les gens savent ce qu'est VIVRE.
Yann COLLIGNON Yannick GREFFARD-BAUTISTA
1 nom donné par les Indiens à tous les Blancs étrangers
2 bolo, abréviation pour boliviano (monnaie du pays). En 1996, 1 B égalait 1 FF