Le Projet de SAYA (BOLIVIE)
Ou rien n'est jamais définitivement acquis, mais aussi la situation n'est jamais désespérée ! Notre Journal d'hiver 96 a pu vous informer de cet intéressant projet, avec pas mal de précisions et ... d'optimisme, tant cette coopération avec SAYA nous semblait exemplaire et présenter les meilleures conditions de réussite. Volonté des villageois de "s'en sortir" et persévérance se traduisant par: - la réalisation depuis 1968 de 24 km de pistes, entièrement à la main, avec des tronçons très difficiles dans des falaises rocheuses et des murs de soutènement en pierres sèches, audacieux et remarquables. - la construction d'un premier barrage en maçonneries de 3 m de hauteur, qui s'est rompu dès la première mise en eau. Cela ne les a pas découragés pour reconstruire un deuxième barrage de 4 m de haut, qui tient toujours depuis 10 ans, malgré des fuites et des dimensions ne respectant pas les normes de sécurité classiques. Ces deux séries d'ouvrages avaient chaque année mobilisé une centaine de villageois durant 2-3 mois en saison sèche.
Soutien obstiné d'un technicien originaire de SAYA qui a emporté l'adhésion des jeunes coopérants qui se succédaient à l'Observatoire San Calixto à La PAZ (Fabrice Pawlack, David Genoux, Denis Neyens), relayés par ISF Besançon (Ingénieurs sans Frontières). Ces derniers ont fait appel au soutien technique d'HSF : études et plans préliminaires, mission de reconnaissance d'octobre 96 de Brice Wong. Cette mission confirmait alors les opinions des jeunes coopérants et notre propre conviction : une intervention rapide et efficace de consolidation du barrage permettrait de fournir l'eau nécessaire à toutes les familles du village pour l'irrigation de leurs cultures en saison sèche.
Les premiers plans proposèrent successivement un barrage-poids (10 m de hauteur, 2 000 m3 de béton cyclopéen, 300 t de ciment ; coût 300 000 F), une voûte multiple plus sophistiquée (800 à 1000 m3 de béton cyclopéen; coût 200 000 F) puis une solution "barrage en enrochements"(5 000 à 6 000 m3) rangés à la main, d'une hauteur de 10 m, avec masque amont en béton armé (300 à 400 m3 de béton légèrement armé). Le parement aval en gabions permettait son utilisation comme déversoir et son raidissement à 60 ° au lieu de la pente classique à 1/1 des enrochements rangés.
Les jeunes Ingénieurs Sans Frontières consacrèrent l'année scolaire 96-97 à la préparation d'une mission qui devait avoir lieu en août-septembre 97 : démarches pour les recherches de financement, week-ends de formation technique avec HSF (les ISF-Besançon sont des "mécaniciens" et non des "génie civil"!), contacts avec les relais de la Paz... Après avoir affiné les études, HSF met au point en juin 97 les plans d'exécution du projet définitif qui présente des avantages essentiels de coût minimal, de faisabilité et reproductibilité par les villageois et de pérennité. Moyennant une légère complication de la prise d'eau, les travaux peuvent être entièrement exécutés à sec à l'aval et à l'abri du barrage existant, sans avoir besoin de vidanger le réservoir actuel et de sacrifier les cultures de la saison sèche 97. Cette solution exige le maximum de main-d'oeuvre (volume d'enrochements rangés à la main proche de 7000 m3) et le minimum de financements extérieurs1 avec possibilité d'étaler la construction en trois étapes (200 sacs de ciment à chaque étape, donc moins de 30 000 F). Le remplacement du masque en béton armé par un noyau relativement mince en béton cyclopéen permet de réduire encore les coûts et rend plus facile la mise en oeuvre et la reproductibilité de ce genre de barrage par les villageois. Enfin, un avantage non négligeable de cette solution type "noyau béton" est de minimiser les risques de gel (nous sommes à 4000 m d'altitude!) Désagréables et incompréhensibles surprises Donc, en juin 97, l'équipe des trois volontaires ISF-Besançon (Lucile, Yann et Yannick) renforcée par un jeune étudiant TP de HSF (Bruno), bien armée tant sur le plan technique que moral, était fin prête à démarrer lorsque ... au nom des habitants de Saya, un fax de la PAZ demande de retarder la mission d'un an! Comment expliquer cela ? Par les difficultés de communication avec les villageois (deux fois 10 h de voyage en 4*4 pour transmettre les informations dans les deux sens) ?? ...Impossible de reculer, les billets d'avion étaient pris. Mais laissons les véritables acteurs vous conter la suite !
Brice Wong
1 Devant la difficulté à réunir des financements par le groupe ISF, HSF décide de participer pour 20000 F à l'achat du ciment et des équipements en 97
Une expérience extraordinaire
Me voilà maintenant revenu de Saya avec des images plein la tête. J'ai vécu par le biais de HSF une expérience originale. Il faut d'abord que je replace cette action dans son contexte. Je suis un élève ingénieur en quatrième année à l'ESITC (Ecole Supérieure d'Ingénieurs des Travaux de la Construction) de Cachan. J'étais dans l'obligation d'effectuer un stage linguistique à l'étranger. J'ai eu la joie de rencontrer Brice par le biais de mon père et, à son contact, j'ai compris l'organisation originale de l'Association, la technique de parrainage entre professionnels d'expérience et jeunes étudiants. Ces différents contacts m'ont poussé à faire profiter HSF de mes trois mois de stage. Brice venait alors de revenir de Saya pour le compte du projet ISF (Ingénieurs sans Frontières) dont il était le responsable technique. Il m'a alors associé à cette initiative en me précisant immédiatement que la présence d'un ancien ne serait peut-être pas obligatoire sur le site. J'ai "signé" tout de suite et me suis mis de plain-pied dans le projet en réalisant une maquette du barrage qui servirait à faciliter la communication et l'explication de l'ouvrage à l'arrivée au village. J'ai ensuite pris mon billet d'avion pour la Bolivie, avec une certaine appréhension mais surtout une immense curiosité. Après une semaine réservée aux courses de chantier (ciment, tubes, pelles, mètres,...) nous avons rejoint le village avec les trois étudiants de ISF-Besançon . Des débuts difficiles... mais une orga-nisation remarquable Nous avons d'abord mis au point l'organisation avec la population puis nous avons lancé le projet. Malheureusement, une semaine de mauvais temps et le retour à la Paz de deux ISF ont énormément perturbé le début des travaux.1 Enfin, après plus de dix jours de retard, le chantier a pu commencer. Depuis la France, nous avions envisagé un logement à pied d'oeuvre au niveau du barrage situé 1000 m au-dessus du village. Sur place, nous nous sommes rendus compte que les conditions climatiques à cette altitude excluaient cette possibilité. Afin de n'effectuer la montée si fatigante (1000 m de dénivelé entre le village et le barrage) qu'un jour sur deux., l'équipe des quatre "gringos"2 s'est partagée en deux. L'équipe des 46 travailleurs du village a aussi formé deux groupes. Le collectage des pierres3 nécessaires pour le montage du massif d'enrochements n'avait pas été réalisé. Les villageois (qui montaient deux fois plus vite que nous !) l'effectuaient donc avant que nous arrivions sur le chantier La commission des travaux du barrage imposait la récolte de 150 pierres par personne souhaitant profiter des avantages de l'irrigation. C'est ainsi qu'un père désireux que son fils -trop jeune pour travailler- soit aussi bénéficiaire devait récolter 300 pierres.
Le projet prévoit un voile d'étanchéité en béton cyclopéen (mélange de béton riche -350 kg/m3- avec des pierres de 250 mm) immédiatement accolé en aval du barrage existant, renforcé à l'aide d'un massif en enrochements rangés, avec des pierres dépassant souvent les 500 mm et les 50 kg. Brice avait imaginé évacuer l'eau en direction du village par une cheminée de collectage (deux tubes de 200 mm en PEHD) verrouillés par deux vannes. Malheureusement, ce diamètre n'est pas disponible en Bolivie (à moins de le fabriquer sur mesure). Nous l'avons donc remplacé par de plus petits . Par ailleurs, l'assemblage en collé vissé que nous souhaitions n'existe pas. La seule méthode présente sur place est le joint silicone
Une journée de chantier
Tout le monde quitte le village vers 7h30 pour rejoindre le barrage. A notre arrivée, les villageois qui finissent leur collecte de pierres attendent nos consignes. Les travaux commencent donc vers 10h avec le montage des coffrages en bois pour la cheminée et la mise en place de l'enrochement aval. Vient ensuite la pause déjeuner, invariablement composé de pommes de terre ; puis le rituel mâchage de la coca, occasion d'une ample communication entre les travailleurs du village et notre équipe. Chacun y va de ses questions, de ses remarques, de ses doutes... Rarement avant 2 h, le coulage du béton peut commencer. Il reste alors trois heures de travail avant la redescente pour échapper à la nuit qui tombe très tôt dans cette région proche de l'équateur. Les journées étaient donc très courtes.
Un essai de bilan
Nous avons eu la chance qu'aucun problème de santé ne vienne perturber notre programme. Le chantier a avancé à son rythme dans de bonnes conditions. Cependant, la première phase des travaux prévus cette année qui devait renforcer la retenue existante sur toute sa hauteur n'a pu être achevée (il manque une hauteur de 40 cm pour arriver au sommet. Brice avait proposé une seconde mission, immédiatement à la suite de la nôtre, de deux jeunes ingénieurs HSF (Génie civil de l'ENSAIS). Mais les membres ISF de la mission ont jugé que leur responsabilité personnelle autant que celle d'ISF était engagée sur ce chantier et qu'ils ne souhaitaient donc pas en laisser le suivi à d'autres. Malgré mes différentes remarques, ils n'ont pas voulu poser la question aux villageois. Donc, l'augmentation du stockage du barrage de Saya est retardée d'un an.
Un des enseignements que je tire de cette mission est que les projets développés en France doivent toujours être soumis aux décisions des villageois, dans tous les domaines : organisation, technique, gestion... Les projets ne nous appartiennent pas. Il est toujours mieux d'en laisser les clefs aux populations locales. Ce n'est pas à nous de les prendre en main et de leur imposer un futur.
Mon souhait est, bien sûr, que la suite du projet soit des plus fructueuses pour cette population qui nous a réservé un accueil si chaleureux. J'ajouterai que cette expérience au sein de HSF a été exceptionnellement formatrice tant du point de vue technique qu'humain et que je ne demande qu'à la réitérer.
1 Ce retour à la Paz-vivement déconseillé par Brice avant le départ- nous a légèrement discrédités aux yeux de la population à qui nous venions d'expliquer que notre temps était compté et qu'il ne fallait pas le gâcher !
2 nom donné par les Indiens à tous les Blancs étrangers
3 Brice avait demandé au village ce travail de préparation lors de sa mission en 1996