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Dans le dernier numéro de H²O Gérard Neyret signe un article qui" décoiffe" et nous invite à un débat sur ce fameux effet. En réponse, nous publions deux contributions de lecteurs avertis.

Après les pluies acides des années 80, le "trou dans la couche d'ozone " ( ?!)des années 90, l'effet de serre est aujourd'hui sur le devant de la scène. Le propos de Gérard Neyret bouscule un certain nombre d'idées reçues En particulier, il montre bien que toute modification des caractères de l'espace terrestre, passés ou présents, par les activités humaines n'est pas forcément un mal, une dégradation. Après tout, c'est en modifiant les résultats des processus naturels que l'homme a assuré sa survie On est donc à cent lieues du catastrophisme excessif sans pour autant tomber dans l'optimisme béat : les violences de la nature sont réelles, elle n'est pas " bonne " en soi.

Sans nier les responsabilités de l'Homme , n'a t on pas trop tendance à les exagérer ?

Ceci étant, l'article de Gérard Neyret appelle quelques remarques sur le fond, invite à se remémorer les solutions antérieurement proposées dans notre journal et peut permettre de lancer un débat sur l'écologie.

CERTITUDES ET INCERTITUDES.

Quand on parle de l'effet de serre on veut, bien entendu, parler de l'effet de serre additionnel, créé par les activités humaines, et non de l'effet de serre naturel qui maintient la température moyenne du globe à 15°C alors que, sans lui, elle serait de -18°C. Car la " vitre " atmosphérique, transparente à la radiation solaire, est opaque aux ondes infrarouges du rayonnement terrestre, captées par la vapeur d'eau et les gaz ( CO²,CH4, N²O, CFC) L'atmosphère retarde donc le transfert de la chaleur terrestre vers l'espace cosmique.

De quoi est on sûr aujourd'hui ? On sait mesurer, à 1 pour mille près, la quantité de CO² contenue dans les bulles d'air des glaces polaires qui conservent la mémoire de la composition de l'atmosphère passée ( les carottes de Vostock permettent de remonter jusqu'à -140.000 ans). Il est désormais admis que cette teneur en dioxyde de carbone , restée stable entre 1200 et 1800 (280 ppm) est passée à l'heure actuelle à 355ppm, soit une augmentation de 40% au cours des deux derniers siècles. Difficile de ne pas mettre cela en relation avec la révolution industrielle, l'explosion démographique et ses conséquences agricoles .Les scientifiques ont donc proposé des modèles dans lesquels l'augmentation des gaz à effet de serre additionnel entraîne logiquement des boucles de rétroaction positives conduisant à un réchauffement du climat ( voir croquis). Des mesures ont été faites : réchauffement de 0,5°C depuis 1940, élévation de 4mm/an du niveau de la mer. D'où les prédictions catastrophiques pour le premier siècle du troisième millénaire : réchauffement de 1 à 4° selon les auteurs, niveau marin s'élevant de 40 cm à un mètre, et, " bénédiction" pour G.Neyret, augmentation des précipitations. Mais beaucoup d'incertitudes rendent ces prévisions tout à fait aléatoires : · Les évolutions constatées restent trop voisines des marges d'erreur des instruments de mesure · On ne connaît pas le temps de réponse de la planète, sa sensibilité. Ainsi l'interface océanique ,dans les hautes latitudes, absorbe le tiers du C0² additionnel. Les eaux océaniques le piègent sous forme de carbonate de calcium, et devenues plus froides , donc plus denses, s'enfoncent ; mais le renouvellement des eaux profondes par remontée sous les tropiques et qui s'accompagne de la libération du C0² dans l'atmosphère, ne se fait qu'au bout de 500 à 1000 ans . L'inertie des océans peut ainsi démentir les déductions des modèles. · Il faut tenir compte des boucles de rétroaction négatives. Ainsi l'effet de serre additionnel augmente la couverture nuageuse ; celle ci retient, certes, davantage de rayonnement infrarouge mais elle limite aussi la radiation solaire susceptible d'atteindre le sol. Y a t il équilibre entre réchauffement et refroidissement ? On ne le sait pas. De même le réchauffement devrait entraîner le dégel du permafrost de la Sibérie ou du Canada, libérant le méthane et le C0² des tourbières actuellement gelées. Mais la forêt qui remplacerait la toundra absorbera du C0². La fonte des glaces diminue l'albedo de la planète mais la déforestation l'accroît etc... · Enfin le climat de la planète a changé dans le passé mais, contrairement à ce que l'on avait pensé pendant longtemps, ces variations naturelles ont pu être aussi brutales que celles qu'on impute maintenant à l'homme. Il y a 35 millions d'années la formidable émission de laves en Ethiopie-Yémen ( alors soudés) a entraîné un brutal refroidissement qui expliquerait la disparition des dinosaures. Récemment, l'éruption du Pinatubo a provoqué un léger abaissement de la température du globe. Les carottes de Vostock montrent que la teneur en C0² il y a 140.000 ans était très voisine de celle des années soixante. Ces incertitudes font qu'il est difficile d'apprécier la responsabilité exacte de l'Homme dans les changements mineurs observés. Elles fragilisent les prévisions alarmistes. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire. Le principe de précaution s'impose.

UNE BENEDICTION ?

Admettons que les modèles et les prévisions se réalisent. L'effet de serre est il pour autant une "bénédiction" ? Oui, nous dit Gérard Neyret ,car il palliera la pénurie d'eau "inéluctable" qui s'abattra sur l'Humanité si on le contrarie. A mon avis, c'est là que son propos prête le plus à discussion. Quand on passe de l'échelle planétaire à l'échelle régionale, la distribution de l'eau, même plus abondante globalement, à la surface de la terre ne sera pas égalisée par l'effet de serre mais, au contraire, au mieux maintenue, au pire aggravée. Malgré l'accroissement formidable des besoins en eau des pays qui connaissent encore une forte croissance démographique et qui vont s'industrialiser et s'urbaniser dans les prochaines décennies, il n'y a pas de pénurie générale d'eau douce , au moins tant que la population mondiale ne dépassera pas 20 milliards d'habitants. Il n'y a que des pénuries régionales.(régions arides, régions agricoles fortement irriguées comme le Kansas, régions industrielles et urbaines ). Si bien qu'il faudra organiser des transferts d'eau coûteux sur de longues distances. " Mon pays n'est pas pauvre parce qu'il est sec, mais il est sec parce qu'il est pauvre " disait un habitant du Sahel. Ainsi les perturbations apportées par l'effet de serre additionnel -et G. Neyret les décrit fort bien- risquent d'être sans contrepartie. Les Hollandais surélèvent déjà de 2 mètres la plupart de leurs digues. Dans le doute, mieux vaut s'abstenir. La précaution consiste donc à limiter les émissions de gaz nocifs dans l'atmosphère. Mais comment ? Au nom de l'environnement le Nord somme le Sud demandent à chacun de cesser la destruction de ses forêts, ce que L'Inde et le Brésil rejettent au nom du développement. Le Nord feint d'ignorer que si les forêts indonésiennes partent en fumée, c'est que les incendies -hélas mal maîtrisés- ont en partie pour but de satisfaire ses besoins en bois. Le Sud accuse la croissance polluante du Nord, réclame un traitement différencié en matière de normes et refuse toute solidarité écologique tant que ne seront pas transférées les technologies non polluantes. L'Europe veut dès maintenant une réduction substantielle de l'émission des gaz à effet de serre mais les Etats Unis refusent et sont prêts à payer ""un permis de polluer "....

A PROPOS DES SOLUTIONS

G. Neyret propose des solutions intéressantes et qui emportent l'adhésion ; elles concernent principalement les régions arides. Il convient de distinguer celles qui affectent le cycle de l'eau ("faire pleuvoir mieux et plus") et celles qui concernent le cycle du carbone ("réduire l'effet de serre") Ainsi le reboisement peut certainement améliorer la pluviosité mais son action sur l'effet de serre est limité dans le temps. Quand se développe une nouvelle forêt, les arbres absorbent du gaz carbonique mais, 70 ans plus tard, elle atteint son équilibre : le bilan devient nul. Si l'on voulait absorber sur une longue durée tout le C0² anthropique prévu, il faudrait reboiser une surface égale à trois fois le Sahara ( cf Lambert : L'air du temps) Les lecteurs d'H²0 connaissent trop bien les économies d'eau qui pourraient réduire les pénuries régionales pour qu'elles soient rappelées ici. En revanche, reportons nous tout de même à notre numéro 19 de juin 97 dans lequel Jean Bouloc, à l'affût des "idées porteuses", évoque le procédé ingénieux utilisé dans les déserts côtiers du Pérou, du Chili et de Namibie, visant à capter l'humidité des brouillards sans pluie qui enveloppent les bas versants presque toute l'année. En complément , il a envoyé à HSF l'article qu'il a rédigé en 1993 dans la HouilleBlanche ,(n° 5). Il y montre comment des filets en fibre de polypropylène tendus sur des cadres verticaux de 48 m2 conduisent dans une goulotte jusqu'à 150 litres d'eau par jour. 50 panneaux alimentent en eau agricole et alimentaire un petit village du nord du Chili de 330 habitants : procédé écologique et à très faible coût.

Quoique tourné avant tout vers la recherche de solutions opérationnelles , l'article de G.Neyret donne aussi à réfléchir sur la place de l'Homme dans la nature. L'écologie en fait un simple élément de la biocénose (partie vivante du milieu) mais affirme que l'homme moderne est devenu un prédateur et un perturbateur de tous les écosystèmes ; en cela il s'est exclu de la Nature et il convient donc de le "Re-naturer". Les Sciences humaines, au contraire, ont toujours placé l'Homme au-dessus de la Nature qu'il doit dominer et posséder ; elles placent l'homme au coeur de leurs préoccupations et considèrent qu'il vit d'abord dans une société et que c'est à elle qu'il appartient de dire ce qu'elle veut faire de son environnement. Mais les acquis récents de la science ne semblent-ils pas remettre en cause ces deux conceptions ?

Claude PARRY

L'article "Améliorer les pluies sur notre globe" nous a paru bien optimiste.

Il y aura plus d'eau disponible sur le globe, peut-être, mais très inégalement répartie. Déjà en Méditerranée, l'effet de serre provoque de 2 à 3 cm d'évaporation supplémentaire, mais également une diminution de l'ordre de 4 cm des précipitations. Une projection dans un futur assez proche donne une désertification totale du Sahel et du pourtour méditerranéen, mais par contre un adoucissement du climat et de plus fortes précipitations en Russie et au Canada ! Doit-on préparer des charters vers ces régions peut-être privilégiées ? Un article scientifique paru dans la revue internationale EOS, reprenant la donnée d'augmentation de salinité des eaux de la Méditerranée, en déduit une prochaine augmentation des précipitations (et donc de la couverture de neige) sur le Canada, et l'initiation d'un nouvel âge glaciaire. Il propose de conjurer cette nouvelle épreuve en construisant un barrage à travers le détroit de Gibraltar. L'augmentation de salinité des eaux en Méditerranée résulte d'une part de l'effet de serre (augmentation de la température de l'eau et de l'évaporation, diminution des pluies), mais également du barrage d'Assouan et de l'augmentation de la section du canal de Suez (multipliée par 10 depuis son ouverture en 1869)... Ne devient-il pas diabolique de vouloir compenser l'effet des activités humaines par un nouveau barrage, cette fois à Gibraltar ? Quant à l'augmentation globale des pluies, les études paléoclimatiques laissent supposer des variations des précipitations de 10 à 20 %, pas plus... le paramètre primordial étant à moyen terme l'élevation du niveau de la mer qui sera catastrophique pour de nombreuses populations riveraines (le Bangladesh et les Pays Bas pour ne citer qu'eux). Même en tenant compte de l'incertitude des modélisations liée aux nombreux paramètres mis en cause et aux interactions complexes entre eux, nous avons beaucoup de mal à imaginer l'effet de serre comme positif pour l'humanité. Nicole et Jean-Pierre BETHOUX