La coopération de HSF avec l'UNESCO pour le projet Ouadane m'amène à proposer quelques éléments de réflexion , afin d'éclairer l'intérêt que l'UNESCO peut avoir à travailler avec des ONG. telles que HSF.. J'évoquerai, à ce propos, le cadre dans lequel s'inscrit le projet Ouadane, c'est-à-dire le Programme Hydrologique International qui, participe des nouvelles normes définissant désormais la politique de la gestion de l'eau au sein des instances nationales et internationales. Enfin, j'évoquerai le principe d'intégration car il constitue la base de l'élaboration des stratégies et des programmes d'intervention des institutions internationales et il est progressivement mis en oeuvre au sein même des politiques nationales de gestion de l'eau.
I. Le Programme Hydrologique International.
On ne peut ignorer le fait que l'accès à l'eau sera, au cours des décennies à venir, un des problèmes cruciaux dans la bonne marche de notre société. L'accès à l'eau a toujours été un problème, mais au cours de la première partie du XXème il a été occulté par les conséquences de la Révolution industrielle, l'accès à l'or noir. notamment.
La désertification et le développement des mégapoles sont des indicateurs symptomatiques d'un problème plus universel : celui de l'accès à l'eau pour l'ensemble des populations afin qu'elles puissent assurer leur développement économique et social et qu'elles bénéficient d'un bien-être et d'un niveau de vie décents. Depuis, la fin de la Seconde guerre mondiale, les institutions nationales, relayées par leurs antennes internationales travaillent à la construction d'institutions leur permettant de protéger leurs populations contre les risques de pénurie de l'eau.
La pénurie d'eau peut entraîner la mort physique ou symbolique quand des êtres humains sont contraints à la mendicité pour survivre. Aliéner sa liberté, son indépendance et sa dignité pour quelques kilogrammes de riz parce que les guerres ou l'incurie de ses semblables ont ruiné sa terre et corrompu son eau sont des fléaux pires que les criquets ou la sécheresse L'eau, le puits, la source sont depuis les temps bibliques les symboles de la sociabilité, d'aucuns diront de la civilité et de la civilisation. Ils sont aussi à la base de nombreux conflits larvés et latents, voire de guerres : source de vie, l'eau est aussi source de mort. Les hommes qui gouvernent étant ce qu'ils sont, — berger dans leurs troupeaux et loup dans celui des autres —, ils ont tenté de mettre en place des mécanismes de régulation des relations sociales et de prévention des conflits. L'UNESCO. est une création des plus humaines avec son côté "berger" et son côté "loup".
Je me contenterai d'évoquer plutôt le côté "berger", mais le loup n'est jamais bien loin. Je rappellerai simplement que les activités de l'U.N.E.S.C.O1 ne lui permettent pas, en principe, de participer aux activités politiques comme l'ONU. ou financières comme la Banque mondiale. Au regard des textes, l'UNESCO. intervient dans le domaine de la gestion de l'eau pour deux raisons essentielles. D'une part, elle contribue au développement de la recherche scientifique, de l'éducation et de la coopération dans ce domaine. D'autre part, la défense du droit des hommes pour l'accès aux ressources en eau participe de la défense de leur dignité et des principes de base selon lesquels l'éducation et la culture ne peuvent être accessibles que dans la mesure où les gens ont un minimum de ressources pour vivre et non pas seulement pour survivre. Cette philosophie humanitaire marque l'institutionnalisation du problème de l'eau au niveau international depuis de nombreuses années, notamment dans le cadre de l'intervention des organisations spécialisées de l'ONU et des Communautés européennes.
Concernant plus particulièrement l'U.N.E.S.C.O. le Programme Hydrologique International a été lancé en 1975, et est dans sa cinquième phase (1996-2001) Pour reprendre les termes mêmes de son énoncé, il "est au centre d'efforts scientifiques visant à améliorer la connaissance fondamentale que l'on a du cycle hydrologique"2 et a pour principal objectif de "développer les bases scientifiques et technologiques pour une gestion rationnelle des ressources en eau, tant au niveau de la quantité que de la qualité, tout en tenant compte de la protection de l'environnement"3 Il faut retenir de cette définition la "gestion rationnelle" et la "protection de l'environnement" qui sont les pôles clés. Sortie des débats eschatologiques des années 60-70 sur les dangers de la société industrielle et des progrès de la science, la lutte pour la protection de l'environnement est entrée dans une phase qui paraît être contradictoire avec ses débuts, celle de la rationalité et de l'efficacité. Pour cela, il a fallu tout d'abord que la question de la protection de l'environnement quitte le débat associatif et civil pour pénétrer le débat politique et devenir un enjeu dans la lutte pour le pouvoir. En outre, les gestionnaires et les planificateurs se sont saisis de ce problème et par leurs actions en ont fait un phénomène à caractère économique.
C'est la phase actuelle que nous connaissons sous les termes de "développement durable"dont les principes ont été définis au début des années 90 (voir Conférence internationale de Rio de 1992 sur le développement et l'environnement.) Ledéveloppement durable peut se résumer ainsi : promouvoir le développement écono-mique et social de la société actuelle sans compromettre celui des générations futures. L'accomplissement de ce principe suppose la mise en oeuvre d'une gestion dite "rationnelle", c'est-à-dire fondée sur des instruments de modélisation, de contrôle et de planification qui font appel aux méthodes économiques de gestion mises en oeuvre dans les entreprises. Concernant plus spécifiquement le domaine de l'eau, les principes du développement durable ont été systématisés au cours de la Conférence de Dublin sur l'eau et l'environnement et la Déclaration qui en est ressortie en 19924.
L'aspect le plus important est le quatrième principe selon lequel l'eau a une valeur économique et doit être reconnue comme un bien économique. En pratique, cela signifie qu'elle doit faire l'objet d'une évaluation donnant lieu à l'établissement du coût des services qui y sont attachés et au recouvrement d'un prix susceptible de compenser tout ou partie des coûts. L'autre aspect important lié au développement durable et à sa mise en oeuvre dans la gestion de l'eau est la notion de gestion intégrée.
II. A propos de la gestion intégrée de l'eau.
Pour reprendre les définitions du Programme hydrologique international, la gestion de l'eau est entendue comme "un ensemble de mesures destinées à exploiter et à maîtriser les apports de ressources naturelles (dont l'eau) de façon à obtenir des produits et des conditions du milieu naturel qui soient utiles à la société"5 La gestion est intégrée à partir du moment où "la démarche du gestionnaire [tient compte] d'un certain nombre de relations et d'interactions physiques, économiques et sociales importantes5 (...)
Dès lors, les relations et interactions à prendre en compte peuvent être multiples:: les liens entre eaux de surface et eaux souterraines ; entre les écosystèmes terrestres et aquatiques ; entre les activités humaines et leur impact sur le milieu naturel, entre le secteur de la gestion des ressources naturelles, et les autres secteurs d'activités humaines ; enfin entre le milieu politique, et les objectifs, les finalités, les moyens, les acteurs et les décideurs qui participent à l'élaboration des stratégies.
L'approche intégrée du développement durable diffère totalement de ce que nous avons pu connaître dans les années 50-70, voire 80-90, avec les programmes de développement intégré, mis en oeuvre principalement dans les périmètres irrigués à l'instar de celui qui a accompagné la construction du Haut-barrage d'Assouan, les projets d'aménagement de l'Euphrate en Iraq et en Syrie ou encore le tout récent Projet de Développement du sud-est anatolien en Turquie (le GAP.), pour citer quelques exemples.
Ces projets reposaient sur des aménagements hydrauliques de grande envergure, qu'il était impératif de rentabiliser sur le plan financier. Ils procédaient également d'une certaine idéologie du développement économique et social liée souvent aux mouvements de libération nationale au sein desquels les nouveaux dirigeants s'étaient battus pour l'indépendance de leur pays et qui poursuivaient la lutte, d'une certaine manière, contre l'omnipotence des pays dits industrialisés. Ces projets étaient fondés sur l'expansion agricole horizontale, la production d'énergie et le déploiement des infrastructures et étaient inscrits dans un processus plus large de "modernisation" du pays.
La gestion intégrée de l'eau ne consiste plus à appréhender les ressources hydrauliques de manière parcellisée par rapport à une région, un fleuve ou à un secteur, mais à gérer l'ensemble des ressources naturelles, dont l'eau, de manière globale. En outre, elle repose essentiellement sur des instruments institutionnels tels que la réforme de la législation sur l'utilisation et la répartition des ressources ou le renforcement de l'organisation administrative.
L'engagement de l'UNESCO dans la mise en oeuvre des méthodes de gestion qui visent à favoriser un meilleur accès aux ressources en eau pour tout le monde, tant du point de vue de la qualité que de la quantité, procède, a priori, davantage du côté "berger" de l'homme que de son côté "loup".
Mais, il y a un gouffre entre les grands principes exposés dans les déclarations universelles et la réalité du terrain. Les programmes élaborés "pêchent" dans leurs ambitions humanitaires. En effet, le but des gestionnaires et des spécialistes de la planification est plus de protéger les ressources naturelles, et donc les richesses présentes et à venir, que les intérêts propres des populations, ce qui, à mon sens, conduit peu à peu sur le terrain à une "déshumanisation" de la gestion de l'eau. Les individus ou les groupes ne sont plus perçus comme les sujets des interventions mais comme des objets ou des outils de gestion qu'il faut former, je dirai même forger comme les rouages bien huilés d'une machine qui pourrait se révéler infernale.
Mais une chose est de créer des normes et des modèles mathématiques pour arroser au mieux un plant de sorgho ou alimenter en eau un quartier du Caire, une autre est de les mettre en oeuvre et de les faire appliquer par les consommateurs. Les experts patentés par les grandes organisations internationales, les institutions étatiques ou les entreprises économiques ont oublié que le paysan ou le consommateur urbain, de quelque région du monde qu'il soit est un expert lui même, car, comme il est écrit dans le Petit Larousse, c'est une personne "qui a une parfaite connaissance d'une chose due à une longue pratique."6 C'est donc ici, que les O.N.G. ont leur rôle à jouer car elles peuvent servir de courroie de transmission entre la vision du monde des experts patentés et la pratique du monde des experts oubliés.
Annabelle BOUTET Septembre 1997. ______________________________
1 U.N.E.S.C.O. en Français signifie Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la science et la culture
2 U.N.E.S.C.O.-Programme hydrologique international, Ressources en eau douce, n.d., p.1.
3 U.N.E.S.C.O.-O.S.S., Programme Hydrologique International, Les ressources en eau des pays de l'O.S.S.. Évaluations, utilisation et gestion., mai 1995, p.4.
4 Conférence internationale sur l'eau et l'environnement-Organisation météorologique mondiale, Déclaration de Dublin sur l'eau dans la perspective d'un développement durable, Dublin (Irlande), 23-31 janvier 1992.
5 Programme hydrologique international-U.N.E.S.C.O., Hydrologie et mise en valeur des ressources en eau dans un environnement vulnérable. Plan détaillé de la cinquième phase du P.H.I. (1996-2001), U.N.E.S.C.O., Paris, 1996, p.5. GESTION DE L'EAU : DE NOUVELLES BASES DE TRAVAIL
6 Petit Larousse, 1992, "Expert".
pour l'UNESCO et les organisations internationales.