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DEMOCRATIE au ZAIRE, et CHEZ NOUS ?

Que les Américains s'inquiètent de la démocratie au Zaïre, c'est stupide... mais pas étonnant. Franklin Roosevelt en 1944 avait entretenu des pensées semblables à propos de la France. De Gaulle, selon lui, n'avait aucune légitimité puisqu'il n'avait pas été élu démocratiquement. Des gouverneurs américains provisoires avaient donc été prévus, plus une monnaie, plus je ne sais quoi encore, afin que les Français, enfin vraiment libérés, puissent aller remplir les urnes en faveur de candidats ayant fait leur campagne électorale : grotesque et ridicule ! Dieu merci de Gaulle, qui pourtant était démocrate, ne l'était pas à ce point. Il prit les choses en main et gouverna le pays sans attendre les suffrages... qui d'ailleurs lui vinrent. Ce qui étonne, c'est de voir que les protestations en faveur de la démocratie vont bien au-delà des U.S.A. Car comment imaginer qu'on puisse demander à chaque habitant d'un pays en plein chaos de donner son avis sur un futur président ou sur quelqu'autorité que ce soit ?

D'abord, où trouver ces habitants ? Qui sont-ils ? Ensuite, comment les recenser ? Grâce à quels moyens matériels ? Après quelles campagnes électorales ? Financées par qui ? La démocratie ne peut fonctionner sans un minimum d'ordre et plus encore sans que les citoyens exercent consciemment leur responsabilité, et qu'ils soient par conséquent informés. Montesquieu disait en ce sens que la qualité nécessaire à la démocratie était la vertu. Il la définissait comme étant la capacité exercée par chacun de sacrifier ses intérêts particuliers aux intérêts de l'ensemble. On en est déjà loin chez nous. Que penser des habitants d'un immense espace marqués par des coutumes tribales et plongés aujourd'hui dans l'anarchie ? La démocratie est d'abord une question de culture. Elle suppose le respect mutuel des citoyens et la mise en oeuvre des droits de l'homme. Il en est ainsi en Suisse lorsque les habitants d'un village prennent les décisions concernant le canton à main levée. Dans quel endroit du Congo-Zaïre trouverait-on à l'heure actuelle un tel village ?

Chez nous, elle est fragilisée par l'agitation médiatique et la crise des idéologies. Les émissions simplifient à plaisir des questions très complexes sur lesquelles des experts chevronnés sont en désaccord. Aucune n'est même compréhensible sans excéder les frontières politiques actuelles. Jean Baudrillard a prétendu que si l'on faisait voter les singes, on obiendrait à peu près le même résultat : 49/51 %. De plus, nous avons toutes les raisons de nous méfier des promesses électorales des uns et des autres. Ils ne tiendront pas les promesses impossibles à tenir. Quant à celles qu'ils pourraient tenir, on peut se reporter au passé pour savoir le poids qu'ils donnent à leurs propos. Pourtant, le mot démocratie est dans toutes les bouches. Selon Nyerere, "d'Addis Abeba au Cap, une nouvelle génération de dirigeants prend son destin en main : les démocraties s'enracinent".

Laurent Désiré Kabila a même proclamé la République Démocratique du Congo : une démocratie à parti unique fondé sur des cellules villageoises, encadré par des organes d'idéologie politique dirigés par les responsables du parti et qui ne doivent rien aux partis politiques existant au Zaïre. Le débat démocratique ne fait pas partie des urgences du moment. 42 millions de Congolais réclament pain et travail. Il faut d'abord répondre à ces priorités. Il serait trop aisé d'ironiser sur cet engouement. Il a son utilité. Mais il y a loin des propos aux réalités qu'ils appellent. Il a fallu des siècles pour qu'en Europe on puisse commencer à donner un sens au mot de démocratie (les Grecs avaient des esclaves). Il serait artificiel et vain de forcer la main des Africains. C'est leur affaire. On peut et on doit les y aider. On ne doit rien leur imposer.

Jean MOUSSE