M49 BIS
En prolongement de l'article d'Annabelle Boutet sur "la Révolution de la M49", Bernard Bonhomme nous fait part de ses réflexions.
Dans le passé, la confusion régnait sur la comptabilité de nombreuses communes, mais toutes se devaient d'avoir un budget équilibré. Avec ce système, il était difficile de connaître le prix réel du m3 d'eau potable, de prévoir entretien, extension ou renouvellement des installations. Avec la présentation actuelle (cf M49), chaque service ayant sa rubrique propre, les coûts de production de l'eau potable et de l'assainissement apparaissent clairement mais leur financement est assuré à titre principal, comme par le passé, par les usagers. Pour ma part, j'ai du mal à distinguer les usagers de l'eau des citoyens ordinaires, qui se trouvent être très généralement aussi des contribuables. Ainsi, rien n'a changé sous le soleil de France : si l'eau potable devient trop chère à produire ou à distribuer, une partie de son coût est prise en charge par les impôts (locaux, nationaux) ; et c'est moins douloureux pour l'usager même s'il est aussi contribuable ; et c'est très bien ainsi. La M49, c'est donc plus de lisibilité dans la comptabilité communale.
Venons-en maintenant à la privatisation de certains services publics. La gestion déléguée est, elle aussi, à la mode mais elle n'est nullement imposée par la M49 ; même pas favorisée. Il s'agit généralement pour un maire de mettre à niveau le service de l'eau potable et/ou de l'assainissement lorsque les conditions locales (surtout la nature de la ressource, de l'eau brute) et la qualification du personnel municipal ne permettent pas d'atteindre la qualité actuellement requise, du moins dans un délai acceptable et pour un coût raisonnable. La privatisation de services publics est donc parfois un mal nécessaire ; je dis un "mal" à propos de ce que paie l'usager car, en ce qui concerne l'eau potable, différentes études portant sur des distributions d'eau comparables (ressource en eau, taille, état des installations) ont constaté un surcoût moyen de 30 % en gestion déléguée par rapport aux régies municipales traditionnelles. Il n'y a pas de miracle : la finalité des sociétés privées est de faire du profit, et elles en font : il suffit de scruter un peu la Bourse ou de contempler leurs immeubles directoriaux ! Je vais tout de suite désamorcer l'inévitable procès : je n'écris pas que c'est mal, je n'écris pas que c'est bien, j'écris simplement que privatiser un service public, ça coûte cher au consommateur, inéluctablement, même si la pédale douce est mise les premières années, sorte de lune de miel. Ca coûte cher aussi au contribuable puisque (et comme par le passé) "les communes peuvent intervenir". Cette privatisation est "mal nécessaire" lorsqu'un saut qualitatif et parfois quantitatif s'est imposé dans la distribution de l'eau comme dans l'assainissement. Cette gestion déléguée ne s'est malencontreusement pas toujours avérée indispensable ni faite d'une façon commercialement transparente : les consommateurs d'eau et les contribuables concernés en supporteront néanmoins les conséquences pendant quelques dizaines d'années.
Pourquoi une équipe municipale délègue-t-elle un service public ? parce que c'est la mode parce que le service public concerné est supposé mal fonctionner (vrai ou faux selon les cas) parce qu'il semble plus facile (électoralement) de voir augmenter le prix de l'eau sur des factures de sociétés privées que sur de simples notes à entête de la mairie...
Maintenant, un peu de prospective : l'augmentation du prix de l'eau potable se conjugue parfois avec des sécheresses calamiteuses quoique bien naturelles : la consommation d'eau tend alors très logiquement à diminuer, mouvement d'ailleurs encouragé par des campagnes gouvernementales d'économie d'eau. Il se vend en conséquence moins d'eau et les profits diminuent, les installations courant en outre le risque de se trouver surdimensionnées et les investissements injustifiés. Tout est alors réuni pour que le prix de l'eau augmente encore plus... Effet pervers induit par l'augmentation des prix : le développement des "ressources parallèles" sous forme de puits, forages, dérivations de cours d'eau avec tous les risques sanitaires liés à des branchements malencontreux ou à des désirs d'économie inopportune. Une petite remarque en passant : l'eau potable coûte (un peu) cher, mais elle l'est presque toujours (potable). Que penser de la clientèle nombreuse pour l'achat d'eaux en bouteille (minérale ou de source), même dans une "grande ville proche de mon domicile" où pourtant l'eau distribuée (sans traitement) est d'une exceptionnelle qualité ? Cette clientèle paie l'eau 300 à 400 fois plus cher...
Après avoir vidé mon seau (avec l'eau, on ne peut pas vider son sac) sans intention polémique, je voudrais conclure par quelques réflexions pas du tout philosophiques : le profit à lui tout seul ne me paraît être ni une source d'économies de ressources naturelles, ni un moteur de développement durable, ni une activité valorisable d'un point de vue philanthropique les produits marchands dont l'économie (= usage sans gaspillage) s'est imposée par la force des choses ont vu leur tarification au forfait interdite (eau, électricité). A contrario, que penser de la ppromotion omniprésente de consommation au forfait : téléphone, téléphone sans fil, autoroute, train, avion ? Sinon qu'elle encourage la consommation, parfois donc le gaspillage ? Que penser de la logique "Qui paie, consomme" sinon qu'elle exclurait de facto des besoins les plus élémentaire les laisés-pour compte de chez nous, de l'Europe, du monde entier ? Nos gaspillages contribuent-ils au développement du reste du monde ? La solidarité est-elle devenue un gros mot ? La charité, bien commun de nombreuses philosophies et religions, ne doit-elle pas rester un "pansement" (donc provisoire) entre particuliers, la fraternité demeurant un ciment national, institutionnel depuis deux siècles ?...
Bernard BONHOMME 13 mai 1997