La resistance des betons au gel
Un des aspects de la technique du beton
Jean-Richard Le Cointe nous communique son expérience dans la connaissance des bétons en inaugurant cette série d'articles
1 En revisitant nos Alpes cet été, j'ai constaté combien certains bétons se dégradaient vite au-dessus de 900 mètres, alors que depuis 1950 tous nos barrages en France profitent des découvertes technologiques sur les constituants du béton et sont construits pour résister au gel. Savons-nous faire du béton étanche à l'eau? Oui Au gaz ? Dans certaines limites.
En fait, depuis 1950, nous savons faire du béton qui tient au gel à coeur à - 20 ° et au-delà si nous le souhaitons. Il me semble que l'on a oublié de vulgariser ce type de béton. A cela, il y a deux raisons principales : Peu de gens savent qu'un béton qui tient au gel est aussi un béton étanche à l'eau Pendant les premières années, il y a eu quelques incidents avec les bétons préparés pour résister au gel, le dosage en adjuvant étant mal maîtrisé. Aussi, les fabricants de ces adjuvants ne s'adressent-ils qu'à des stations de production de béton possédant des doseurs précis car les doses de produits à utiliser sont très faibles : quelques cm3 par m3 de béton
2 Pour la petite histoire, je vous explique ce que j'ai vécu avec passion depuis 1945 à mes débuts, lorsque je participais à la construction du barrage de la Girotte, dans ce Beaufortin qui en a envoûté plus d'un. Nous étions à 1727 mètres d'altitude et l'on nous demandait de mettre au point un béton capable de résister aux alternances de gel et dégel entre - 20 ° et + 20 ° C. Pour cela, un laboratoire a été créé sur place, bien sûr sous la poussée de J.F. ORTH. L'idée directrice était alors que le béton le plus compact devait être le plus résistant au gel. Cela nécessitait l'incorporation au béton de sable très fin -< 0,1 mm- et aussi de farine de pierre.
La réponse fut sans appel. Tous les bétons soumis au gel et au dégel de notre unité frigorifique furent rapidement détruits au bout de 20 ou 30 cycles, au point de ne pouvoir être manipulés. A l'inverse, les bétons exempts d'éléments très fins ou de farine de pierre se comportaient honorablement et pouvaient atteindre 50 ou même 100 cycles de gel. Décision immédiate : corriger et étudier le sable, installer des appareils de dépoussiérage dans toutes les stations de concassage du chantier. Nous avons alors étudié les granulométries les plus diverses et choisi ciment et dosage en fonction de ce que nous donnaient les essais au gel suivis d'essais de perméabilité sur des cylindres de 30 cm de diamètre. Au cours de ces essais, nous avons vérifié que la résistance à la traction de la glace à - 20°C était équivalente à celle du béton, ce qui expliquait certains arrachements en parement amont sur les barrages anciens.
Nous n'avons pas trouvé la solution miracle mais, la dernière année, nous avons étudié et utilisé un produit à mélanger au béton (apporté des Etats-Unis) qui facilitait la mise en place. Cela nous permit de faire des bétons plus secs et plus résistants (ils résistaient très bien aux cycles de gel et dégel, jusqu'à 400 cycles et plus). Les dernières voûtes du barrage profitèrent de cette qualité de béton.
La suite, ce fut la création des laboratoires de Tignes, puis de celui d'Albertville -qui acquit une réputation internationale sous la direction de J.F. ORTH- pour préparer le barrrage de Roselend. C'est le hasard, dit-on, qui a permis aux Américains de découvrir ce type d'adjuvant pour béton et la technique du béton "à air entraîné" dans les années 1940. En vérifiant l'état des "high roads" en béton du Nord des U.S.A., les ingénieurs constatèrent que les bétons réalisés avec le ciment provenant d'une installation vétuste (broyeurs et fours) étaient pratiquement exempts d'attaque par le gel. Après investigation, les techniciens décelèrent de fines bulles disséminées dans le béton. Ils découvrirent que les paliers des broyeurs d'un modèle fort ancien étaient graissées avec des huiles et des graisses animales bon marché. Fort usés, ils laissaient passer à petites doses ces huiles et graisses dans le broyeur. C'est ainsi que la chaux du ciment saponifiait la graisse et le produit final était un ciment contenant un savon -donc un produit moussant- et ce sont les microbulles plasticorésistantes de cette mousse qui, en se répartissant dans le béton, donnaient à celui-ci la propriété d'être non-gélif et facile à mettre en place. Cette cimenterie, bien involontairement, fournissait un produit à entraîneur d'air incorporé. Les industriels américains, puis européens, se lancèrent alors sur les surfactants, tous abaisseurs de tensions superficielles, pour proposer des produits à rajouter au béton.
Finalement, que se passe-t-il ? Le brassage du béton avec ce type d'adjuvant permet d'introduire des microbulles "d'air occlus" (entre 4 et 12 %), air à ne pas confondre avec celui que nous appellerons "air inclus" qui est indésirable. La vibration par l'effet de serrage du béton a pour mission d'expulser cet air sous forme de grosses bulles qui remontent en surface avec l'eau en excès. Voilà maintenant une explication technique conforme aux conceptions mécaniques ! Ces microbulles uniformémént réparties dans la masse jouent le même rôle que la succession rainures-segments dans un ensemble cylindres-pistons soumis à de fortes pressions où les rainures sont destinées à créer une suite de chambres d'expansion pour obtenir une perte de charge progressive et rapide jusqu'à l'annulation de la pression le long du piston. C'est la base de l'étanchéité mécanique. C'est pourquoi les microbulles qui n'existent que dans le mortier qui entoure les granulats servent depuis la peau du béton de vase d'expansion, d'abord pour l'eau qui ne s'est pas encore combinée au ciment, puis pour l'eau qui -par contact et pression- voudrait pénétrer dans le béton.Par chance, ces microbulles qui sont élastiques et compressibles se comportent comme un lubrifiant et remplacent avantageusement les éléments très fins qui manquent parfois dans les sables trop bien lavés. D'où l'importance prise dans la fabrication des bétons par ces produits entraîneurs d'air qui facilitent la mise en place des bétons et les protègent du gel.
1 Cette note est le résultat d'une suite d'échanges avec J.F. ORTH récemment décédé et que tous les Anciens d'EDF ont connu comme étant le chef qui nous a appris à faire du bon béton de barrage. C'est avec cet ingénieur dynamique que j'ai commencé à m'enthousiasmer pour ce matériau composite. C'est maintenant un devoir pour moi de transmettre ce que j'ai découvert et appris au contact de cet homme passionné et intransigeant sur la qualité. 2 Si vous utilisez comme doseur la "boîte de petits pois", vous obtenez un béton léger, inconsistant et dangereux (ce qui n'est pas le cas dans celui de nos barrages).