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LA REVOLUTION DE LA M.49*.

* Petit précis à l'usage des services communaux de distribution de l'eau potable et d'assainissement des eaux usées.

Connaissez-vous la M.49 ?

Il ne s'agit pas d'une nouvelle arme invincible, indestructible et invisible mise au point dans les laboratoires secrets de l'armée américaine. Après enquête, je peux vous assurer que la M.49 ne ressemble pas à un barrage, ni à une digue, encore moins à un ingénieur hydraulicien. "Et alors ?" me direz-vous. "Quels rapports avec l'eau ?" En langage codé administratif, la M.49 est une instruction budgétaire et comptable élaborée en 1991 par la direction générale des collectivités locales du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Autrement dit, la M.49 est un des documents les plus rébarbatifs que j'aie jamais lu. Et pourtant, si monstrueuse qu'elle soit, pour les non initiés j'entends bien, la M.49 constitue en soi une petite révolution. Suspense... Sous l'administration de la loi du 1er décembre 1964, relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre la pollution, et de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau, les services de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement des eaux usées sont des services publics à la charge des communes.

Les formules de gestion

Pour la mise en oeuvre de ces services, les collectivités communales peuvent faire appel à une gamme de formules entre régie directe et régie indirecte. Selon le modèle de la régie directe, la commune conserve la maîtrise totale des services et en assume toutes les responsabilités. La régie directe peut être également autonome — le service est géré par des organes distincts mais sous l'autorité, notamment comptable et budgétaire de la commune —elle peut être personnalisée — le service est un établissement public doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière —. Selon le modèle de la gestion indirecte, la commune délègue à un tiers tout ou partie de ses responsabilités. Dans ce cas, il existe quatre modes d'exploitation principaux : la concession, l'affermage, la gérance et la régie intéressée — ces deux dernières formules sont aussi qualifiées de régie mixte. Selon le mode de la concession, un contrat est passé par lequel la collectivité charge une entreprise de réaliser à ses frais les investissements nécessaires à la création du service et de faire fonctionner celui-ci à ses risques et périls. L'entreprise se rémunère au moyen d'une redevance ou d'un prix, payés par les usagers. La pratique de l'affermage consiste à mettre à la disposition du fermier, par la collectivité qui en général en a assumé le financement, les ouvrages nécessaires à l'exploitation du service. Le fermier est chargé de la seule exploitation du service.

Dans le cadre de la régie intéressée, un professionnel est chargé contractuellement du fonctionnement du service public. Il est rémunéré par la collectivité mais celle-ci assume les déficits et finance l'établissement du service. La gérance est établie sur le même modèle mais la collectivité verse une rémunération forfaitaire au gérant et fixe seule les tarifs. Notons, en outre que ces services peuvent être gérés dans le cadre de regroupements de communes qui s'entendent pour gérer un certain nombre de services ensemble. Pour vous mettre sur la voie de la M.49, je me permettrai ici un petit commentaire. Une des différences principales entre la gestion en régie directe et la gestion en régie indirecte, c'est ... la régie directe. En fait, les modes d'exploitation en régie indirecte consistent le plus souvent à confier tout ou partie des services à des entreprises privées dont les objectifs sont lucratifs et non de service public. Ces entreprises mettent donc en oeuvre une gestion économique, basée notamment sur la redevance payée par des usagers qui leur permet de s'autofinancer. Ce qui ne pose pas de réel problème en termes de tarification réelle des coûts. Dès lors, mon étude portera plus spécifiquement sur les méthodes de régie directe. Aux termes des textes législatifs et réglementaires, les services de la distribution de l'eau potable et de l'assainissement sont des services à caractère industriel et commercial qui doivent être financés à titre principal par les usagers. Les communes peuvent intervenir dans le budget, en cas d'investissements trop importants pour être pris en charge par les redevances même après augmentation des tarifs. "L'innovation" de la M.49. Sa mise en oeuvre a été progressive entre 1992 et 1997, mais elle assujettit, depuis le 1er janvier 1997, toutes les communes qui ne pratiquent pas la régie indirecte. Elle rend obligatoire pour les collectivités de faire apparaître la gestion des services de l'eau potable et de l'assainissement dans un budget annexe, où dépenses — amortissements, annuités d'emprunts, dépenses de fonctionnement, investissements — et recettes — redevances, subventions —, doivent être apparentes. Ce qui objective la nécessité de l'équilibre financier, base de la comptabilité publique et donc l'évaluation du prix réel de l'eau. La règle énoncée par ce texte n'est pas nouvelle en soi car d'autres textes législatifs ou réglementaires insistaient sur la nécessité de cette évaluation, mais sans obligation réelle. En réalité, les services d'eau potable et d'assainissement étaient totalement intégrés dans le budget général de la commune. Dès lors, même si les redevances perçues pour les services étaient insuffisantes elles étaient compensées par la fiscalité globale locale, et le budget de l'eau n'était qu'une fiction. Suite à la mise en oeuvre de ce texte, les fonctionnaires de l'Etat qui interviennent et qui conseillent les maires (services fiscaux, équipement) ont pu constater que nombreuse étaient les communes qui n'appliquaient pas le prix réel de l'eau, très souvent sous-évalué et qui ne tenaient pas compte de tous les aspects constituant le coût réel, tels que les frais d'investissement ou de fonctionnement. Une des raisons, non officielle, qui m'a été donnée, justifiant l'adoption de ce texte, est la volonté des pouvoirs publics de répondre à des contraintes européennes d'harmoniser la facturation et la tarification par rapport à d'autres pays de l'Union européenne, où les services sont déjà privatisés. Mais après étude, il semble que les pratiques dans les autres pays européens sont tout aussi diversifiées. Cependant, il n'est pas négligeable de penser que les fonctionnaires européens envisagent cette harmonisation non pas par rapport à un modèle existant mais plutôt par rapport à une philosophie assez répandue dans les instances internationales aujourd'hui. En effet, le courant dominant en termes de gestion des ressources hydrauliques, est celui de la mise en oeuvre de lois économiques de rationalisation telles que la tarification sur le "principe du consommateur payeur" et du "principe du pollueur payeur" ou la privatisation des services.

L'avenir de l'eau

Or, en France, il existe une très grande disparité face à l'accès à l'eau et par conséquent face à son coût et à sa tarification, entre communes riches et communes pauvres en ressources hydriques, entre communes peuplées et "petites" communes, entre communes étendues géographiquement et celles qui sont regroupées, entre communes économiquement riches ou pauvres. En outre, à l'heure actuelle, de nombreux réseaux et installations se révèlent vétustes, datant parfois du début de ce siècle, et nécessiteraient d'être rénovés voire remplacés. Mais cela représenterait dans certains cas, en fonction des nouvelles directives, une multiplication par 8 ou par 10 du prix payé par les usagers. De plus, les questions de qualité de l'eau sont une nouvelle contrainte qui pourrait encore plus peser sur le budget de l'eau des communes, notamment sous la forme de normes qui sont élaborées pour développer les mesures de contrôle et les techniques d'épuration. C'est pourquoi, une "pirouette" administrative a été introduite sous le terme de subvention du budget communal. Ce qui signifie que les communes sont autorisées à subventionner leurs services d'eau potable et d'assainissement. C'est ce que les astronomes appellent une révolution.1

Mais quel avenir nous attend ?

Ce n'est pas du domaine de l'hydromancie. Cependant j'ai pu constater l'existence de phénomènes et d'autres m'ont été révélés par les personnes que j'ai rencontrées et qui m'ont fait part de leur expérience. D'une part, en termes financiers, à la suite de ce texte, les communes seront contraintes d'augmenter la tarification des services de l'eau potable et de l'assainissement des eaux usées pour pouvoir présenter un budget "eau" équilibré, mettant fin à des pratiques telles que la tarification forfaitaire.

1 Au sens premier du terme, mouvement orbital, périodique d'un mobile autour d'un corps central (Le petit Larousse)

D'autre part, les problèmes de l'eau ne sont pas une fatalité exotique propre aux pays en développement ou situés sous des climats moins tempérés que le notre, mais ils touchent tout autant la France et l'ensemble des pays dits industrialisés, et je dirais dans les mêmes termes : la pollution, le gaspillage, l'inégale répartition des ressources. Aussi et cela n'a rien d'extraordinaire, il est fait appel aux mêmes méthodes : tarification, réglementation, privatisation. Les décideurs se posent les mêmes questions de rentabilité, d'égalité, de justice : comment protéger, développer et utiliser les ressources sans provoquer de trop grandes disparités sociales ? Le cas de la M.49 est assez symptomatique puisqu'elle a remplacé une injustice par une autre. Au temps où les services de l'eau potable et de l'assainissement ne faisaient pas l'objet d'un budget distinct, tous les contribuables locaux participaient au financement de ces services, mêmes s'ils n'en usaient pas (ex : ceux qui possédaient des forages privés), aujourd'hui, l'implantation d'une tarification réelle de l'eau tient compte de la consommation et non des revenus de chacun. Pour conclure je vous laisserai méditer sur les paroles du philosophe de la matière, Gaston Bachelard. "Une goutte puissante suffit pour créer un monde et pour dissoudre la nuit. Pour rêver la puissance, il n'est besoin que d'une goutte imaginée en profondeur. L'eau ainsi dynamisée est un germe ; elle donne à la vie un essor inépuisable."

Annabelle BOUTET.

2 Gaston Bachelard, L'eau et les rêves, Paris, José Corti, 1991, pp13-14