L’EXPERIENCE DU PETIT SAUT ET SES REPERCUSSIONS
Largement médiatisés et probablement exagérés, les déboires écologiques du «grand barrage du Petit Saut« ont quelque peu traumatisé l’opinion publique, en particulier en Guyane française. Pourtant, ce n’est pas la première fois que de grandes étendues de forêts en pays tropicaux ou équatoriaux ont été submergées par des réservoirs encore plus importants et on en a tiré de nombreuses leçons quant à l’environnement.
C’est un pari qu’a fait EDF sur les intérêts à long terme du pays, quitte à être fortement critiquée pour les conséquences des premières années de remplissage sur la faune comme sur la flore et surtout pour la décomposition putride de l’énorme quantité de «biomasse» produite par les quelques 450 km2 de forêts, en particulier feuilles et branchages. Mais lors de notre passage, trois à quatre ans après la première mise en eau, les émissions gazeuses dans la retenue semblaient avoir pratiquement cessé, peut-être grâce aussi aux apports surabondants de 1996 (?)
1 Reste le spectacle de désolation des fûts innombrables, des arbres morts blanchis et dressés à la verticale vers le ciel, à peine égayés par la verdure des plantes parasites qui continuent à proliférer. Aurait-il été possible non seulement d’abattre toute cette forêt, mais aussi de la brûler entièrement, et à quel prix ?
Nos compatriotes de Guyane auraient-ils été prêts à consentir une hausse même partielle de leurs factures d’électricité ? EDF-service public- pourrait-elle continuer à facturer à 70 centimes (comme en métropole) un kwh qui revient actuellement à 2 à 5 FF ? Le débat est loin d’être clos et, même si le «désastre écologique» dont on nous a souvent parlé ne semble pas correspondre à la réalité, les passions demeurent qui mettront encore du temps à s’apaiser... avec la progressive épuration des eaux du Petit Saut.
Cet état d’esprit explique probablement pourquoi l’ADEME (Agence de l’Environnement et pour la Maîtrise de l’Energie) qui avait confié à IED (bureau d’études) une mission d’inventaire des sites hydroélectriques en Guyane a fortement insisté pour que ces projets se limitent à des équipements au fil de l’eau, donc sans grands barrages ni réservoirs.
2 W = 8 QH
H.S.F. sollicitée comme expert-conseil était plutôt réticent au départ,... avant de se mettre à l’ouvrage. Car il ne peut y avoir de miracle : la puissance d’une centrale exige toujours débit garanti (Q) et hauteur de chute (H) significatifs, suivant la formule bien connue W(kw) = 8 Q(m/s)*H(m)
Or, en Guyane, les trombes d’eau de la saison des pluies sont célèbres (en novembre, nous avons eu droit à quelques échantillons) ; en saison sèche, c’est aussi vraiment sec !! et les niveaux des cours d’eau peuvent varier -le plus souvent brutalement- de plusieurs mètres entre étiages et crues. D’autre part, excepté quelques trop rares exemples avec des sauts significatifs, les dénivelés naturels des sites étudiés sont plutôt faibles (1-3 m), capables juste de fournir quelques malheureux kw et à des prix d’autant plus exorbitants que cette puissance est minime. C’est pourquoi le premier inventaire physique des sites nous a conduits à proposer presque partout des barrages de 10 à 25 m de haut pour obtenir une hauteur minimale de chute et pour avoir une réserve suffisante de transfert des eaux de la saison des pluies vers la saison sèche. Après une bonne discussion, l’ADEME accepta notre point de vue et nous confia une étude limitée aux sites possibles sur les affluents rive droite du fleuve Maroni.
3 Sur le terrain
Repérer des sites de barrages-réservoirs pour des ouvrages de hauteur inférieure à 25 m sur des cartes au 1/200 000è avec des courbes de niveau tous les 40 m, ou au mieux sur des cartes au 1/50 000è avec des courbes de niveau tous les 20 m, ce n’est déjà guère évident. Mais arrivés sur place ou près des sites repérés, vouloir faire une topographie plus précise, c’est encore une autre gageure, quand la visibilité ne dépasse guère 10-20 m (et encore, lorsqu’un layonnage au coupe-coupe permet de suivre un ancien sentier ou qu’une piste a la bonne idée de suivre une ligne de crête !)
En tous cas l’idée de se contenter d’un simple niveau à bulle de maçon de 60 cm de longueur (à la place du niveau classique de topographie et surtout d’un T2-T3 ou même d’un distomat) s’est révélée fort pratique et efficace à l’usage, surtout quand on est obligé de traverser les rivières à la nage avec tout le matériel à protéger. Romain, outre ses prouesses de «sherpa» increvable, est rapidement devenu un topographe-niveleur hors-pair, dont la précision fait concurrence aux topographes chevronnés d’EDF armés des instruments topo classiques : ainsi, au Saut Lucifer, l’écart de 4 m entre niveau amont et aval, s’approchait des 3,90 m mesurés par EDF avec des débits probablement différents. Quant aux études géologiques, autant elles étaient simples lorsque de grandes plateformes rocheuses émergeaient du lit de la rivière en étiage, autant il nous fallait pratiquer la «haute pifométrie» lorsqu’aucun affleurement rocheux n’était visible sous l’épaisse végétation tropicale recouvrant la cuirasse latéritique. Cependant nous pensons avoir dégrossi un certain nombre deprojets sur des sites pouvant s’avérer intéressants si les investigations et études à poursuivre le confirment. 4 Pour Quels usagers ? Mais y aura-t-il assez de consommateurs -du moins dans un futur proche- pour cette énergie dont les prix seront d’autant plus compétitifs que ces minicentrales pourront atteindre des puissances significatives de plusieurs centaines de kw ou mieux 1 à2 Mw ?
Certaines mines d’or utilisant des broyeurs de minerai sont très demandeurs d’énergie à meilleur marché et moins polluante que les pompes électrogènes classiques. Il en est de même de plusieurs groupes de villages si on arrive à les interconnecter. Mais quelles perspectives de développement durable cet apport d’énergie pourrait-il susciter ? Quel effet d’entraînement autant psychologique qu’économique et politique peut-il exercer sur trop de villages sans projets pour les sortir d’une mentalité d’assistance ou d’immobilisme ? La courageuse persévérance des nombreuses personnes et équipes rencontrées (enseignants, équipe médicale, services publics... ou André qui s’est fait «indien avec les indiens») est cependant signe d’espoir. Enfin, signalons pour les amateurs d’émotions les voyages en petits avions et hélicoptères ou les remontées et descentes des «sauts» en pirogues que leurs pilotes expérimentés, économes et sûrs de chacun de leurs gestes, mènent de main de maître. Pour moi, le meilleur souvenir entre deux expéditions est l’accueil chaleureux d’amis à Cayenne (la fille de Hugues Le Bars et son mari..) qui nous a permis de faire une courte pause et d’oublier chaleur, moustiques, guêpes et autres bestioles indésirables.
Des mini-centrales hydrauliques pour la Guyane ? Mission commune IED (Initiative-Energie-Développement : Hugues Le Bars)-HSF (Romain Chartier, Brice Wong) sur huit sites sélectionnés _ 1 Au barrage de Vouglans sur l’Ain où l’emprise n’a pu être déboisée, la pollution par le SH2 a duré près de 2 ans. Depuis, l’eau du lac est d’une merveilleuse limpidité, qu’apprécient les nombreux touristes. _