ZAIRE-KIVU / DES CLES POUR COMPRENDRE
La situation au Zaire nous interpelle et nous donne mauvaise conscience en même temps que nous sommes troublés par sa complexité. De la conférence du Père Apollinaire Muholongu (Malu Malu) donnée le 15 novembre à Grenoble nous résumons ces quelques notes.
La mission H.S.F. au Nord-Kivu (région de Butembo) demandée par Wima (voir Journal HSF n° 15)pour étudier la faisabilité de micro-centrales avec Dominique Normand et Thierry Pellarin est toujours en instance de départ... dès que les événements le permettront.
La tragédie du Zaïre ne peut étre séparée de celle de ses voisins, Rwanda et Burundi où les tensions séculaires ont été exacerbées par l'histoire récente. L'actualité en est une illustration dramatique..
LE DRAME DU ZAIRE
On attendait beaucoup du Zaïre, 2 345 000 km2, aujourd'hui 44 millions d'habitants (plus de 250 ethnies), à cause de ses multiples potentialités minières, agricoles, forestières, énergétiques. "L'agression" actuelle du Rwanda met fin au mythe d'un grand pays au cœur de l'Afrique.
Démoralisées, peu habituées au combat, très
rompues au pillage, les Forces Armées Zaïroises (FAZ) sont
à l'image de leur pays: sans conscience nationale et sans commandement
central.
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Mais qu'est devenu Mobutu "ce compte bancaire ambulant avec une toque en peau de léopard ?" Après avoir concentré tous les pouvoirs entre ses mains au nom de l'authenticité, pillé avec ses acolytes le Trésor public et bradé les richesses minières du pays, il passe tranquillement sa convalescence au Cap Martin. Depuis quatre ans, il n'est plus sur la scène publique, en congé perpétuel dans son village natal. Il lui reste la capacité de nuire, de cautionner les pillages des militaires par l'impunité, de bloquer le processus de démocratisation pourtant bien engagé depuis 1990. Il n'a d'ailleurs cessé de dire: "Moi ou le chaos". |
Dans ce sous-continent à la dérive, le peuple s'organise avec le peu qui lui reste. Tout est entre ses mains: éducation, santé, aménagement du territoire, sécurité...Pendant que les uns continuent à croire aux vertus de la palabre dans le Parlement de transition (Haut Conseil de la République), d'autres cherchent le salut dans les nombreux partis politiques, d'autres encore dans les innombrables sectes, d'autres également dans le commerce de tout et de rien, d'autres enfin dans des Associations non gouvernementales (ONG) pour mieux faire face aux problèmes ou trouver un emploi rémunérateur. C`est l'émergence d'une société civile qui ignore elle aussi l'Etat même si le gouvernement de Kengo Wa Dondo continue à brasser le vent et occuper le champ diplomatique
Le Nord-Kivu (avec ses agglomérations urbaines comme Goma, Rutshuru, Butemboa Beni...) et le Sud-Kivu (avec ses agglomérations urbaines comme Bukavu et Uvira) sont les régions concernées directement par la crise actuelle, à la frontière actuelle du Rwanda, du Burundi et de l'Ouganda. Terres d'agriculture et d'élevage, elles ont toujours été le théâtre des conflits fonciers qui ne cessent de s'intensifier avec les vagues successives des réfugiés venant du Rwanda et du Burundi.
Ces conflits fonciers trouvent d'abord leurs racines, comme au Rwanda et au Burundi, dans les tensions entre les agriculteurs et les éleveurs.
Ces conflits fonciers ont changé de nature avec les flux migratoires depuis le XVlè siècle et la création de plusieurs royaumes ou entités politiques dans la région des Grands Lacs. Il n'est pas correct d'avancer que le Kivu était une province du Rwanda avant le partage de Berlin *. Il est tout aussi faux d'avancer que tous les Rwandais (Hutus et Tutsis) se trouvant au Kivu sont des émigrés. Les Banyamulenge d'Uvira sont composés à la fois par les Zalrois d'ethnie rwandaise et par les émigrés d'origine rwandaise et burundaise venus plus tard. Au Zaire, la distinction entre Hutu et Tutsi n'a d'ailleurs jamais été mise en évidence avant le génocide rwandais. On parle de Banyarvanda.
Ces conflits fonciers ont été ignorés par la colonisation belge qui a permis une importante émigration rwandaise dans la région de Masisi entre 1937 et 1945, puis entre 1949 et 1950. D'autres flux migratoires ont eu lieu après l'Indépendance, suite aux troubles survenus au Rwanda en 1962 et au Burundi en 1972.
Ces conflits fonciers ont été manipulés par le pouvoir de Mobutu, selon l'adage "Diviser pour régner": contradictions entre le pouvoir coutumier et les appareils de l'Etat ainsi que la Loi sur la Nationalité... On reproche aux Banyarwanda d'être tantôt rwandais, tantôt zaïrois selon les circonstances. Le retour au Rwanda de plusieurs Tutsi après la victoire du FPR (Front Patriotique Rwandais) n'a fait que semer la confusion.... C'est ainsi qu'en 1993, des affrontements sanglants entre Banyarwanda et les autres ethnies du Nord-Kivu ont eu lieu, rappelant ceux du début des années 60. Dernièrement, le Sud Kivu a été le théâtre d'affrontements similaires. Et c'est de là qu'est parti le conflit actuel.
L'EPINEUX PROBLEME DES REFUGIES EN AFRIQUE NOIRE
Le Kivu, très peuplé, a reçu une très forte concentration de réfugiés Hutus: plus d'un million dans des camps de plus de 250000 personnes à la frontière de leur lieu d'origine.
Cela montre que la question des réfugiés en Afrique noire est souvent traitée humanitairement et non politiquement, tout cela dans la violation complète de la Convention de Genève.
Si le principe de l'ingérence humanitaire n'est pas à contester là où il y a horreur, c'est la gestion de l'après-ingérence qui pose problème. Ainsi, on a aidé les réfugiés Hutu, mais c'est maintenant leur territoire d'accueil qui est en feu et en sang. Des commandos venus du Rwanda assassinent certaines personnalités de Bukavu connues pour leur action positive dans la société civile- les accusant de complicité pour avoir prêté socialement secours aux réfugiés Hutu... Butembo et Beni sont pillées depuis une semaine par les militaires zaïrois pour se venger de leur humiliation à Goma.
On risque de déplacer sans cesse le problème et attendre toujours que les squelettes puissent émouvoir l'opinion publique occidentale.
LES CONTRADICTIONS DIPLOMATIQUES
A ceci s'ajoutent les énormes contradictions diplomatiques, qui s'expliquent en partie par les réalités suivantes .
L'Afrique noire a été divisée en prés carrés qui deviennent des chasses gardées de certaines puissances.... ce qui explique l'attentisme des autres lorsqu'ils sont confrontés à d'énormes problèmes. Ainsi, on peut encore traîner de vieilles querelles idéologiques entre francophonie et anglophonie, après avoir longtemps soutenu les dictatures à cause du conflit Est-Ouest.
Paradoxalement, la marginalisation économique de ce continent fait que ses problèmes sont traités avec légèreté, laissant beaucoup de place à la manipulation par des groupes maffieux, ou à l'indifférence des technocrates.
Les divisions au sein de l'O.U.A. ne permettent pas une prise en main des Africains par eux-mêmes. Cette Organisation porte de lourdes responsabilités.
Le mythe de la barbarie ethnique voile souvent des problèmes politiques plus profonds.
* Les puissances occidentales ont
partagé l'Afrique en 1885 à la Conférence de Berlin,
coupant bon nombre d'ethnies en deux, parfois trois.