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DEFIS BOLIVIENS

 
Les années 80 sont, pour l'Amérique Latine, "la décennie perdue". Ce diagnostic de l'ONU s'applique encore davantage au pays le plus andin, le plus enclavé, le plus indien et le plus pauvre du continent: la Bolivie (8 millions d'habitants; 2 fois la France). Carte de Bolivie (36 Ko)

Cette décennie correspond pourtant, presque partout, au rétablissement de la démocratie. Mais celle-ci renaît dans des pays ruinés, d'où ses difficultés. Aujourd'hui pour la Bolivie, elles s'appellent Démocratisation, Drogue, Dette, Démographie, Développement, Désenclavement. Six défis à relever !

Depuis son indépendance en 1824, la Bolivie a vu se succéder 76 Présidents: la moitié sont issus de coups d'État. La dernière grande période de dictature a duré 18 ans (1964-1982), illustrée par des "Tapioca" ayant pour nom Barrientos, Banzer et Meza... La démocratie a été rétablie en 1982, mais elle reste fragile.

En effet, la culture démocratique est faible comme les partis politiques, très nombreux mais clientélistes et coutumiers des alliances sans principes, et comme les syndicats qui représentent une élite ouvrière dans un pays resté rural. S'y ajoute une certaine fragilité constitutionnelle, puisque le Président est désigné par le Congrès quand il n'a pas eu la majorité absolue des voix aux élections*. Il n'est donc pas forcément celui qui est arrivé en tête, ce qui peut nuire à sa représentativité.

Les femmes et les Indiens ont le droit de vote depuis 1952 seulement. Mais il a fallu attendre 1993 pour que les Indiens (60 % de la population se réclame d'une des ethnies indiennes) soient représentés au Gouvernement. Le Vice-Président est aymara.

De violentes oppositions se sont manifestées lorsque l'actuel Président, GS de Lozada ("Goni") a introduit en 1995 l'enseignement de l'aymara ou du quechua comme deuxième langue à côté de l'espagnol dans les écoles. Certains y ont vu une volonté de renoncer à l'hispanisation, gage selon eux de l'intégration dans la société nationale. Au contraire d'autres se félicitent de voir sauvegardée la culture indienne en plein réveil.

Certes, le Pouvoir s'éloigne des fusils pour se rapprocher des urnes. Mais la moindre manifestation sur le Prado (les Champs Élysées de la Paz) est aussitôt encadrée par l'armée; la moindre révolte déclenche immédiatement, et pour quelques mois, la proclamation de l'état de siège.

Le trafic de drogue vient fragiliser davantage encore cette démocratie. Les Etats Unis ont voulu éradiquer les cocaiers qui poussent dans les Yungas (vallées chaudes et humides des Andes) et le Chaparé . Menaçant de supprimer l'aide, ils ont envoyé des agents encadrer les soldats boliviens pour détruire les laboratoires fabriquant la pâte de base acheminée clandestinement en Colombie. Le cocaleiro reçoit 10 000 bolivianos (= 2 000 $) s'il se reconvertit dans la culture du café ou des fruits tropicaux.

Cette politique, mise en œuvre par le Gouvernement bolivien, est mal comprise et mal acceptée par les populations. En effet, la coca est une plante sacrée, aux vertus médicinales. Les Indiens font valoir que cette consommation traditionnelle n'a rien à voir avec la cocaïne demandée par les drogués occidentaux.

En fait, 12 000 hectares suffisent à satisfaire ces besoins traditionnels. Or, les plantations couvrent sans doute 100 000 hectares. C'est que la coca fournit 20% de l'emploi et rapporte bien plus que le café ou la banane. Une sécheresse sur l'Altiplano.... et ce sont des centaines de paysans qui gagnent aussitôt le Chaparé. 20000 mineurs licenciés en 1985 se sont immédiatement reconvertis dans cette activité pour survivre.

Les revenus de la coca sont estimés à 4 milliards de $: un quart reste dans le pays (soit 15 % du P.N.B.), le reste est blanchi à l'extérieur.

D'où la révolte des paysans du Chaparé en 1994 et les batailles rangées entre cocaleiros et leopardos.

D'où la corruption. Qu'elle ait touché l'armée et les dictateurs (Meza, le Président contrebandier, purge 30 ans de prison) n'est pas une surprise. Mais c'est aussi le personnel démocratique qui est gangrené: Paz Zamoro, Président social-démocrate, est actuellement poursuivi avec 18 de ses collaborateurs.

Et l'argent recru par les cocaleiros ne profite pas au développement bolivien: le cocaleiro empoche ses 10000 bolivianos et part aussitôt dans les pays voisins... quand il ne replante pas de la coca dans la forêt, quelques dizaines de km plus loin.

Les bases du développement de la Bolivie ont été posées par la Révolution de 1952: réforme agraire, nationalisations des mines des trois barons de l'étain... Mais ces acquis ont été mal gérés par la suite. Comme l'étain était la principale richesse du pays, la COMIBOL -I'entreprise nationale fournissait la moitié des recettes fiscales; l'Etat devenait le principal employeur et le principal investisseur. Mais qui serait le patron de l'État '?

L'armée ou la COB (la puissante centrale des mineurs qui gérait la COMIBOL) ? Leur affrontement engendra une succession de coups d'État sanglants et de violentes révoltes des mineurs. Maîtres de l'État, les caudillos ont très peu réinvesti dans la COMIBOL et ont préféré développer le Piémont amazonien pétrole, plantations, coca, transports. La COMIBOL privée de capitaux, bureaucratisé voit augmenter ses coûts de production au moment où s'effondre le cours de l'étain. Déficitaire endettée, elle est démantelée par son fondateur, Paz Estenssoro, en 1985. C'est la ruine de l'Etat minier.

Quant à l'agriculture, les paysans ont refusé de s'organiser en coopératives et les partages successoraux ont morcelé à l'excès des exploitations déjà bien petites. L'autosuffisance alimentaire n'est plus assurée car la population s'accroît à un rythme rapide (encore 2,4 % entre 89 et 94; 4,8 enfants par femme) puisque le Gouvernement se refuse à impulser une politique de planning familial.

Face à l 'endettement et à l'inflation, il a fallu réagir brutalement. Sous l'injonction du FMI, la Bolivie paupérisée a dû adopter une politique d'austérité. Depuis 12 ans, le libéralisme triomphe. "Goni" a privatisé l'électricité, les télécommunications, la LAB (Cie aérienne), le pétrole. La ligne de chemin de fer La Paz-Calama a failli être vendue aux Chiliens ! Pour faire passer la pilule, 51 % des actions ont été distribuées sous forme de fonds de pension à tous les Boliviens. Les entreprises privées -boliviennes ou étrangères- peuvent acquérir les 49% restantes. Le développement n'est plus conçu comme un processus d affirmation nationale, comme une rupture des liens de dépendance culturelle et économique avec les grandes puissances. Il repose désormais sur l'espoir que l'ouverture externe et le retrait de l'état fonderont une croissance durable dont le moteur serait des exportations diversifiées.

Ce choix fera-t-il décoller la Bolivie ? Certes. l'inflation est maîtrisée, le PNB s'accroît de 4 % l'an, mais la dette représente toujours 60 % des exportations. C'est dans les basses terres chaudes de l'Est, vers le Brésil, que se gagne l'argent alors que 75 % de la population habite dans les hautes terres de l'Ouest et reste toujours aussi pauvre.

L'ouverture externe pose le problème du désenclavement. La Bolivie a perdu sa façade maritime à la fin du siècle dernier, lors de la guerre du Pacifique. Le débouché se fait par le port chilien de Arica relié à La Paz par une mauvaise voie ferrée et par une route qui sera complètement goudronnée l'an prochain. Mais la Bolivie n'a pu obtenir du Chili le port franc qu'elle voulait et elle s'est tournée vers le Pérou qui lui a accordé ILo. Cependant, la liaison est encore plus difficile.

La Bolivie est membre du Pacte Andin qui regroupe Colombie, Equateur et Pérou, pays avec lesquels elle est mal reliée et a peu de relations économiques. Elle demande aujourd'hui à être associée au Mercosur (Brésil, Argentine Uruguay et Paraguay), le Chili étant peu à peu intégré à l'ALENA. Ce choix se justifie par le fait que ces pays sont, après les Etats Unis, ses principaux partenaires commerciaux. La Bolivie bascule de plus en plus vers le Brésil; Santa Cruz devient le grand pôle de croissance. C'est tout l'équilibre traditionnel du pays qui se trouve remis en question.

La Bolivie a donc besoin de consolider sa démocratie et de trouver les assises d'un développement plus équitable.

Claude PARRY.


* Elections présidentielles à un tour, tous les 4 ans