Courrier du bulletin N°16
Nous avons le plaisir de vous livrer la verve de notre ami Bernard Bonhomme, ancien “missionnaire” HSF à Siguiri (Guinée) pour l’ADESI (Président : Kalilou Doumbouya) :
“Notre ami Kalilou Doumbouya ne lâche pas prise (et il a bien raison). Ainsi et à sa demande expresse, j’ai bricolé un dossier de demande financière pour l’hôpital de Siguiri pour les aspects pompage et lumière, illustré par des photos prises lors de ma mission là-bas.. A lui de savoir quelles sonnettes il y a à tirer pour obtenir des crédits.
Je vous remercie pour votre numéro HSF de l’été, document que je lis toujours avec beaucoup d’attention, même si c’est parfois avec retard et en silence. Aujourd’hui, je voudrais mettre brièvement mon grain de sel à propos de l’éditorial de Brice et du papier de F.X. Blanchard, lectures toutes deux très intéressantes.
Je ne sais pas si on doit s’inquiéter ou se réjouir de la mondialisation qui paraît inéluctable dans la période présente caractérisée par son “unicité de pensée”. Néanmoins, il me semble nécessaire de bien voir ce qui permet (actuellement) cette mondialisation, ainsi que ses conséquences profondes. Les progrès techniques ont rendu possible une circulation rapide et intense de l’information et une activité boursière et financière à l’identique ; mais les effets les plus tangibles de la mondialisation sont l’explosion des transports (je veux dire : des biens et des marchandises, pas seulement des matières premières) et ce phénomène n’existe que grâce au coût des carburants (énergie fossile en majorité), paradoxalement bas par rapport au niveau de vie des pays industrialisés. En d’autres termes, alors qu’il est notoire que le pétrole n’est pas inépuisable, même si on “essore” de mieux en mieux l’éponge géologique qu’est notre bonne vieille terre, la consommation de ce produit ne fait que croître et embellir, grâce et à cause de la mondialisation. Quant à la date d’assèchement de cette précieuse ressource, je n’en discuterai pas ici parce que c’est le fait qui est important, pas la date : une, deux, trois générations ; qu’est-ce que ça changera ? D’ailleurs la fin du pétrole ne sera pas brutale mais asymptotique ; et heureux seront les pays qui auront su protéger leurs propres ressources en achetant grâce à leur devise “forte” le pétrole des autres, tant qu’ils en auront... Suivez mon regard.
Un autre aspect de la mondialisation me chiffonne : sa vocation (en a-t-elle une?) n’est-elle pas de tirer vers le haut les “pays en voie de développement”, mais son effet le plus assuré sera le nivellement par le bas de la plupart des pays intermédiaires dont nous faisons sans doute partie. Nous en avons les prémices avec les discours permanents sur le coup de pouce nécessaire aux bas salaires. Mais cela me semble très moral : au nom de quel principe l’Europe devrait-elle continuer de vivre au-dessus de ses moyens en se goinfrant, après avoir connu quelques siècles de richesse dominante, produit de son énergie et de son organisation sociale certes (pas très démocratique le plus souvent) mais surtout de l’exploitation des matières premières de toute la planète, matières premières incluant les hommes. Donc, un peu de frugalité chez nous me semble inévitable et moralement souhaitable, à ceci près qu’elle se traduit par un accroissement féroce des inégalités et de l’individualisme. Il suffit d’examiner attentivement la formation dispensée à notre jeunesse : soyez “performant”, soyez le meilleur, piquez la bonne place au nez et à la barbe des autres médusés ; compétition commerciale, guerre économique, etc... Ne faut-il pas de tout pour faire un monde ? Les médiocres n’auraient-ils donc pas le droit de vivre ? La vie doit-elle être une compétition permanente pour la richesse, les biens matériels ?
... Vous savez que j’ai travaillé quelque temps en Afrique et aussi que j’ai apprécié parfois (?) beaucoup (?) ce continent : je reconnais donc absolument le droit aux Africains d’évoluer, de “se développer... mais je suis très critique au sujet des produits, idées et méthodes que nous leur exportons. La mondialisation n’est pas une entreprise philanthropique et le Tiers Monde ne vaut considération que pour le marché qu’il représente pour nos produits ; mais attention que ce Tiers Monde ne se mette lui aussi à exploiter ses propres ressources, même à s’en goinfrer : ce serait autant de perdu pour l’Internationale des Industries.
Autre chose, les problèmes démographiques ; j’ai l’impression que M. Blanchard se rassure à bon compte en estimant que la terre peut porter 10 milliards d’habitants. La belle affaire ! De son vivant et aussi du mien, il n’y aura donc pas de problème. Je trouve cela un peu court, d’autant que même si 10 milliards c’est possible, je n’envie pas les conditions de vie de la majorité de cette population “possible”. La terre est malheureusement (?) un monde fini. N’importe quel savant pourra démontrer par de triviales questions d’énergie l’impossibilité d’émigrer sur une autre planète, ni même d’en ramener des matières premières. C’est aujourd’hui et maintenant, et non demain et plus tard (“après nous”) qu’il faut commencer à “gérer” les ressources, l’espace vital et la démographie, à l’échelle globale. Je ne crois pas en des découvertes infinies, à des possibilités humaines inéluctablement en expansion. Pourquoi notre intelligence n’aurait-elle pas fait le plein de tout ce que l’on pouvait tirer des éléments naturels qui nous entourent ? Il me semble que les formidables découvertes scientifiques faites depuis un siècle ont fâcheusement et durablement perturbé notre conscience et lucidité collective. Il n’y a aucune raison objective pour que le progrès soit infini ; aucun arbre ne monte jusqu’au ciel ; il n’y a aucune raison non plus pour que science et technique résolvent un jour (par miracle) les problèmes et conséquences néfastes de ce qu’elles ont rendu possible. Je ne crois pas aux cycles palier-croissance-palier- etc.. On analyse l’histoire avec une myopie toute aussi inéluctable que subjective. Mais c’est tellement plus agréable quand les “faits” nous réconfortent, n’est-ce pas ?
Alors soyons optimistes par raison, mais lucides et actifs par obligation, solidaires et fraternels par nécessité morale.
Et de son dernier voyage en Tanzanie, Le chef de projet de Basotu, Jean-Richard Le Cointe nous ramène ces nouvelles :
“Nous avons répondu à l’invitation du Père Maurice Bitz pour venir assister à l’ordination des trois Frères africains qui nous avaient aidés à creuser les puits et à construire les réservoirs de 10 et 30 m3 pour le Prieuré et le village en mars et août 1995.
Comme prévu, le puits du Prieuré est couvert d’une dalle en béton avec deux trappes : l’une pour l’accès à l’échelle métallique qui descend dans le puits, l’autre pour placer la pompe et sa canalisation. Le tout est maintenant surmonté d’une cabine en briques -ce qui évite toute pollution venant de l’extérieur- et s’inscrit harmonieusement dans le paysage.
3000 Tanzaniens sont venus assister aux cérémonies de l’ordination réalisée en pleine brousse, sous les acacias qui entourent le lac de Basotu. Personne n’a manqué de nourriture ou d’eau. Le puits avec ses 8 m dans la nappe a fourni une eau pure et douce, que nous boirons pendant les trois semaines de notre séjour.
Au village, on parle déjà de créer un abreuvoir pour les animaux, ce qui évitera de souiller le lac. Aussi est-il question de reprendre le forage du puits du village qui a atteint seulement le contact de la nappe. Le village s’agrandit. D’autres problèmes vont surgir et, déjà, au Prieuré, on pense à de nouveaux projets...La TANZANIE, c’est l’Afrique en marche !