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NORD-KIVU, ZAIRE : UN PAYS VIERGE... D'INFRASTURE !


 L'association WIMA Solidarité avec les paysans du Nord-Kivu a pris contact avec HSF il y a quelques mois par l'intermédiaire d'Appolinaire MUHULONGU, dit Malu Malu, prêtre zaïrois qui, après avoir séjourné plusieurs années dans la région grenobloise, est rentré au pays pour y exercer d'importantes responsabilités dans une université privée créée récemment par l'Eglise catholique à Butembo, "capitale" du Nord-Kivu.
Gérard MARTIN, actuel président de WIMA  Solidarité avec les paysans du Nord-Kivu a eu l'occasion de se rendre à Butembo durant la première quinzaine de janvier 96. Il livre ci-dessous quelques impressions à l'issue de sa visite.
 
Le Nord-Kivu : le bout du monde !
Butembo, c'est vraiment coupé du monde : départ le dimanche 8 au tout petit matin à Roissy ; arrivée le mardi 10 à minuit ! 66 heures de pérégrinations à vitesses très variables...Il ne faut qu'une bonne douzaine d'heures à l'avion gros porteur pour nous déposer à Kampala, capitale de l'Ouganda, après une escale à Bujumbura (Burundi) où chacun ressent que l'européen n'est pas un personnage bien aimé des "rebelles" locaux.... Le jour suivant, on reste sur place: formalités administratives diverses obligent ; le mardi, de 6h du matin à minuit, se passe à quatre dans un 4x4... dix heures à 80 km/h sur la route goudronnée d'Ouganda, trois heures pour franchir la frontière... nous nous en tirons fort bien, vu que nous sommes accompagnés par des religieux de l'Eglise catholique, une des seules institutions qui sache se faire respecter des bandes plus ou moins armées censées être au service régulier d'un état zaïrois moribond ! Il ne nous reste alors plus que cinq heures à effectuer pour parcourir les quelques 100 km de la piste défoncée qui nous conduit à Butembo et en nous faisant faire près de 1300 m de dénivelé !
Butembo est en effet située à 1800 m d'altitude, à l'équateur ou presque, sur les flans d'une chaîne de montagnes qui bordent à l'est l'immense cuvette congolaise, bassin de l'immense fleuve Zaïre. Nous avons aperçu au passage les neiges éternelles du Rwenzori ; il culmine à 5500 m. Nous bénéficions d'un climat très clément : 10 à 20°C la nuit, 20 à 30 le jour.... l'Europe en été !
Le Nord-Kivu, un paradis naturel
Tout autour de Butembo la nature est luxuriante, dopée par un soleil régulier et une pluie tout aussi régulière que passagère. 
Sur cette terre volcanique, à la couche fertile très épaisse, il suffit, nous a-t-on dit à plusieurs reprises, qu'une graine tombe en terre pour qu'elle se développe en quelques semaines...trois récoltes sont possibles par an ! Peu ou pas de moustiques à cette altitude... donc pas de malaria ; le traitement anti-paludique ne sert pas à grand-chose.

Bien sûr, on y cultive le manioc, mais aussi les haricots, les poireaux, les tomates, les pommes de terre, carottes, tournesol, blé, tout ce qui pousse en France de Dunkerque à Perpignan... plus les fruits et légumes exotiques, et partout, partout des bananes !
Le Nord-Kivu : un développement qui reste à réaliser
Etant aux côtés d'un agronome expérimenté (30 ans de travail pour le développement des pays les moins avancés), j'arrive assez rapidement à repérer certains éléments qui me permettent de "lire" les paysages, de commencer à comprendre les systèmes de cultures ; je prends conscience ainsi, à chaque visite, de la grande fertilité du sol et de la non moins grande défaillance de l'organisation économique : outillage agricole réduit à la houe et à la machette, pas de traction mécanique ni même animale, communication quasiment inexistante : pistes souvent coupées, même importantes, (par exemple celle qui mène à la ville de Kisangani (ex Stanleyville) de plusieurs millions d'habitants) -sur les quelques 500 km parcourus au Zaïre, nous avons roulé sur 100m de goudron!- quelques radios FM sur batterie en guise de téléphone ; plus aucun service postal. La seule source d'énergie est le bois que les femmes vont chercher à des kilomètres et qu'elles transportent sur le dos... 

  "debout" en swahili. Mais c'est aussi un sigle constitué des initiales des mots "watu" (humain), "imara" (résolu), "maendeleo"(développement) et "amani" (paix) que l'on pourrait donc traduire approximativement par "hommes engagés pour le développement et la paix"
 

On vit au rythme du soleil, sauf pour les plus riches qui se sont dotés d'un coûteux groupe électrogène. Il faut supporter en plus évidemment le coût et le transport du carburant acheminé par camion depuis les ports du Kenya, pays voisin à l'est. Plus grave encore nous semble-t-il : nos échanges nous apprennent que les fonctionnaires ne sont plus payés. On ne précise même plus depuis quand... L'État n'est plus qu'une coquille vide qui parvient quand même de loin à effrayer, à interdire tout projet d'envergure... Pour nous Européens, comment ne pas prendre conscience que ce que nous vivons comme naturel dans notre société n'est en vérité que le résultat d'une construction humaine qui n'a rien de naturel et est bien fragile. Notre ciment social n'est-il pas notre vraie richesse ? Ses fissures nous inquiètent à juste titre !
Là-bas au Nord-Kivu, les Eglises et regroupements de commerçants/PME apparaissent comme les seules forces institutionnelles, mais d'efficacité forcément limitée. Elles ne sont pas capables par exemple d'organiser la lutte contre la maladie qui, depuis quelques années, détruit inexorablement les plantations de café en laissant les paysans complètement désemparés ; eux qui éprouvaient déjà des difficultés à trouver une place dans un marché mondial du café qui leur échappe complètement !
Le Nord-Kivu : une région peuplée d'acteurs déterminés
Les femmes
Est-il possible d'imaginer une telle région dans une démarche de développement où des solidarités pourraient s'exprimer ? Les hommes et les femmes qui peuplent cette région et que nous avons rencontrés répondent oui.
D'abord les femmes ! Non par un souci européen à la mode, mais bien parce qu'elles apparaissent dès la première minute passée au Zaïre comme les premières interlocutrices en matière de développement agricole. Leur activité est en effet incessante et concerne toutes les tâches de survie. Traditionnellement occupées aux tâches de la culture maraîchère, du transport du bois et de la préparation des repas (y compris piler le mil), elles constituent la première cible du développement. Tout progrès d'organisation de la vie économique les voit concernées, dans la mesure où cela leur permet de dégager un temps qui devient précieux pour s'arracher aux activités de survie en 
développant quelques activités de rente, clés du développement.
D'assez nombreuses associations féminines de formation et d'entraide existent ; l'une de celles que nous avons rencontrées expérimente par exemple le transport attelé des marchandises (par des ânes) : véritable innovation pour les habitants du Nord-Kivu, une telle pratique évite de la fatigue et libère donc du temps précieux qui peut être investi ailleurs.
Les hommes se chargent traditionnellement de toutes les tâches de construction de la maison (si les murs sont en pisé et le toit en feuillage, il faut la rebâtir tous les cinq ans) et des transactions monétaires. Par ce biais, leur influence est lourde sur les décisions du ménage. les discussions semblent être vives au sein des associations de développement qui regroupent toutes ces forces vives.
Les ONG locales
Notre plus grosse surprise en effet a été la découverte du nombre très important d'Organisations Non Gouvernementales locales, souvent formées par des jeunes intellectuels qui, ayant goûté aux études, sont tentés de contourner les difficiles problèmes réels du développement de leur région en se réfugiant dans des rôles de conseillers très théoriciens ; ils apparaissent très coupés des vrais paysans, qui sont d'ailleurs des paysannes, auprès de qui ils sont peu crédibles.
Ce phénomène pose problème ; celui de partenaires efficaces pour des projets de développement. En effet ces multiples groupes constituent des interlocuteurs faciles pour européens en mal de charité, mais quelle est leur influence réelle sur le développement? Pour qu'elle devienne positive, il faudra qu'ils s'organisent autrement et changent de pratiques. La séparation outrancière entre manuels et intellectuels est le signe d'une difficulté culturelle profonde ; est-elle la conséquence d'une certaine colonisation ? Cette difficulté, accentuée par la pénurie de formation technique -professionnelle d'un coût élevé et devant s'appuyer sur un tissu industriel trop réduit, paraît en tout cas entraver le développement.
Mais là comme ailleurs, il y a ONG et ONG...
L'université et les commerçants
Le projet mené par l'équipe de Malu Malu, autour de l'Université du Graben s'attaque justement en priorité à ce problème, et c'est réconfortant pour toute la région et pour tous ceux qui pensent pouvoir faire acte de solidarité efficace.

 
 Les commerçants y prennent leur part puisqu'ils sont en train de faire agrandir à leur charge les locaux pour que l'université fonctionne dans de meilleures conditions.
Cette université a été créée par Mgr KATALIKO ('évêque de Butembo), il y a quelques années seulement.(profitant de la libéralisation du régime en matière d'enseignement). Elle répond à des besoins pressants même si sa première définition est restée empreinte des traditions européennes les plus classiques et les plus... éloignées des impératifs d'un développement efficace tel que les conçoit au moins un esprit européen. Mais cette université est un pôle de rassemblement, de synergie potentielle non négligeable fondée sur les multiples rencontres qu'elle rend possible. C'est d'ailleurs dans ce cadre que l'association FERT a été contactée par Mgr KATALIKO il y a deux ans maintenant.
FERT
Elle se révèle être un partenaire essentiel pour le développement de cette région du Nord-Kivu. Les actions qu'elles a déjà menées dans d'autres pays en développement, notamment à Madagascar, paraissent très intéressantes et très adaptées au cas du Nord-Kivu.
Le but de FERT est de mettre en place un ensemble de structures responsabilisantes qui dépassent le cadre souvent trop restreint des micro-réalisations ; ces structures concourent le plus souvent à faciliter aux paysans volontaires l'accès aux semences adaptées, à un savoir pratique immédiatement utilisable, à de l'outillage plus performant mais adapté à la technologie locale, au crédit et enfin à des procédés qui permettent une commercialisation plus profitable au plus grand nombre. Ainsi se voit amorcer un véritable développement autonome. FERT propose des actions de développement coordonnées par une véritable stratégie éducative programmant, dès le début du projet, son propre retrait en tant qu'association d'appui. C'est ainsi que les interlocuteurs de FERT sont amenés à se situer d'emblée comme des partenaires 
Parmi les principaux types d'action de FERT citons :
- les contacts directs avec les paysans motivés, en excluant tout intermédiaire bureaucratique ;
-le financement de techniciens salariés pour la formation des paysans ;
-la mise en place de structures spécialement adaptées aux problèmes locaux ;
- la mise en place de structures mutualistes de crédit capables de passer des contrats en bonne et due forme avec un grand nombre de petits paysans ; un suivi rigoureux de ces contrats est assuré par l'organisation mise en place au sein même du monde paysan.
Pour qu'un développement s'amorce, il faut une volonté affirmée des acteurs locaux et bien connaître les difficultés pour tenter de les contourner. La diversité et la complexité des problèmes ne peut être prise en compte par un seul partenaire. Pour aider effectivement la région du Nord-Kivu, même très modestement, on doit nécessairement fédérer des compétences diverses.
Les projets d'action avec HSF
Il est certain que beaucoup reste à faire dans cette lointaine région du monde pour que les hommes et les femmes qui y vivent arrivent à mettre sur pied l'organisation sociale nouvelle à laquelle ils semblent aspirer. Ces partenaires nous paraissent pris dans des contradictions majeures de plusieurs ordres
* économique d'abord : des conditions agricoles faciles n'évitent pas un labeur épuisant centré sur la survie pure et simple,
* social ensuite : des formes d'organisation sociale nouvelles côtoient la tradition dans des mélanges qui apparaissent de plus en plus explosifs à beaucoup,
* politique évidemment : des initiatives nombreuses voient le jour dans une absence incroyable d'Etat,
* culturel enfin : un fatalisme important cohabite avec un esprit d'entreprise aux réalisations tout à fait remarquables...
La maîtrise de l'énergie au service des petites industries locales dans un premier temps constitue sans doute un palier à franchir. Des essais ont déjà été tentés, plus ou moins étouffés par un pouvoir central qui semble préférer voir certaines régions ne pas trop se développer : son maintien au pouvoir ne résisterait pas en effet à un début de développement !
Dans un premier temps les grandes réalisations semblent donc remises à plus tard : les conditions politico-sociales sont trop précaires. Par contre, nous pourrions étudier la faisabilité de certains projets hydrauliques et apporter une aide à de petites réalisations locales. Dès aujourd'hui ces 
actions peuvent être menées à bien et de toutes façons, elles sont fortement souhaitées par les acteurs locaux, véritables "militants" d'un développement à venir, à cheval sur une certaine tradition de leur pays dont ils sont fiers et sur leur connaissance de notre monde développé dont ils envient une certaine efficacité et prospérité.  Ces derniers, qui sont nos amis, éprouvent aussi un besoin urgent et constant de ne pas se sentir isolés face à leurs difficultés qui ne manquent pas...
 
 

    Gérard MARTIN