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MISSION A ANIGHD MAROC


"Aux portes du désert, l'autre face de la lune, j'ai peut-être découvert..."

Entre Paris et les contrées arides du Sud marocain mon coeur balance. Et pourtant, à Paris, ma voie, je pensais l'avoir finalement trouvée ; pourtant, aux portes du désert l'autre face de la lune, j'ai peut-être découvert...

En réécrivant ce papier que j’ai déjà égaré dans le disque dur de cette incroyable machine , je ne saurai certainement pas traduire et illustrer fidèlement notre expérience marocaine vu que des mois se sont écoulés et que, le quotidien ayant pris le dessus, le Maroc est aujourd’hui relégué aux souvenirs.

De bons souvenirs, certes! Mais les impressions que l’on a, si elles ne sont pas transcrites sur le vif, perdent de leur saveur et ne sauraient être fidèlement communiquées.

S'adapter

Il est des moments où l’on sous-estime ses capacités à créer, à découvrir, à innover et plus simplement à s’adapter. S’il est une leçon que j’aurai retenue de ce premier contact avec la nature, le monde rural austère, la vie dure loin des commodités auquelles nous autres pauvres citadins sommes habitués, c’est bien la force qui existe chez tout un chacun à s’adapter à un mode de vie différent, ou pourquoi pas dire à toute situation. Ce potentiel, on le découvre à un moment au delà de toute attente et l’on se surprend soi-même.

Le premier contact avec le village d'Anighd fût assez impressionnant : ces immenses montagnes qui vous entourent, tout comme une mère protègerait son nouveau né, exercent sur vous un pouvoir de domination et ne peuvent que vous donner un sentiment de vulnérabilité et de découragement. Ces montagnes tel un fardeau sont écrasantes ; le silence aidant, toute l'atmosphère semblait pesante et je me demandais pourquoi aider ces pauvres gens qui n'avaient rien compris à la vie et qui s'attachaient à un lopin de terre perdu dans la nature, redoublant d'efforts pour vivre... alors ... alors qu'il était plus simple de les aider à s' installer ailleurs où il ferait bon vivre.

Ce n'est qu'au fil des jours que je commençais à comprendre cet attachement à la terre, à cette beauté naturelle, que je commençais à porter un regard différent sur ces merveilleuses couleurs allant du vert au marron, passant par l'ocre et le rouge. Ces montagnes ennemies devenaient soudain familières, et en guise de réconciliation avec la nature, je commençais à apprécier ce tableau quotidien qui m'évoquait désormais l'expression d'un visage souriant.

Construire

Notre arrivée au village, tels trois missionnaires accourant au secours d'une population en détresse, nous a conféré une autorité qui nous a beaucoup aidés sur le chantier Les villageois s'en remettaient entièrement à nos décisions et n'osaient, au début, en contester aucune.

Très réceptifs malgré les problèmes de communication, ils essayaient de s'interroger sur les croquis, la manière de les exécuter, nous répétant toujours qu'ils étaient en attente de nos consignes puisque nous étions les spécialistes. Le chantier connut un démarrage difficile : les méthodes européennes rigoureuses venaient se confronter à la réalité du terrain et à l'esprit pratique de maçons soucieux de bien exécuter des plans sans s'inquiéter des formules magiques de dimensionnement de barrage ou des croquis tordus de positionnement des marches qui nous égaraient nous-mêmes, comme des inventeurs dépassés par leur propre invention..

Ce fut la délivrance lorsque Gérard lança le bétonnage des fondations ; les ouvriers commencèrent alors à s'activer comme des abeilles autour de leur ruche puisque là enfin ils pouvaient s'exprimer en appliquant leur savoir-faire. Cet élan positif fut malheureusement brisé par la volonté du ciel qui grondait depuis deux jours, annonçant la pluie bienfaitrice pour le pays, mais fatale pour notre pauvre chantier qui, à peine démarré,vit les fouilles du barrage noyées sous les eaux boueuses d'une crue brutale. Complèment abattus, nous quittâmes le village; c'était la fin de la première partie de notre mission qui s'était soldée par un échec. Les villageois plus philosophes, l'acceptaient comme volonté de Dieu.

Continuer seule ?

Gérard et Romain quittèrent le Maroc pour les fêtes de Noël en France, me laissant à "mon triste sort", tiraillée entre le désir de continuer le travail seule ou celui de fuir le Souss pour quelque part ailleurs. En compagnie de Mohamed de M&D, je me sentais moins seule et prête à affronter cette semaine sur le chantier. mais Mohamed ayant été rappelé à Rabat, j'étais désespérée !

Arrivèrent alors "le grand sauveur" Jamal et sa fille. Jamal me demanda de continuer seule le chantier : il ne s'agissait plus de prolonger mon séjour d'une semaine mais de plus d'un mois!! Grâce à ses encouragements, et surtout parce que les villageois avaient procédé à l'évacuation de la fouille en dérivant l'eau par l'intermédiaire de tuyaux en plastique, je me sentais moralement responsable de bien faire exécuter les plans. Jamal avait demandé à un villageois d'Imgoune de m'accompagner à Anighd pour que je ne sois pas seule sur la piste et que je ne reste pas seule au village, ce qui m'angoissait, ne pouvant prévoir la réaction des villageois à la supervision d'une femme.

Le bon hasard voulut que le rendez-vous soit manqué, et je pris alors la décision de me rendre au village et de tenter ma chance.

La surprise de tous fût grande à mon arrivée seule, mais après un accueil très chaleureux auquel s'étaient joints femmes et enfants, nous commençâmes le travail. Je fûs surprise par la coopération des villageois qui étaient tout ouie et réceptifs, exécutant sans broncher, et surtout désireux de comprendre par des moyens simples comment allait être implanté le barrage, les marches d'escalier etc...Pour mieux visualiser l'ensemble et parce que je ne suis pas très douée en dessin, nous avons réalisé des gabarits en bois, ce qui matérialisait bien le barrage. Une forme de communication s'était instaurée et les villageois se sentaient libres de faire part de leurs idées et suggestions et réclamaient souvent des éclaircissements sur les plans d'exécution. A ma grande surprise, ils ne contestaient jamais une consigne et venaient toujours me demander conseil, même si je l'avoue, ils avaient parfois plus d'idées que moi sur la question. Ce chantier m'a obligée à beaucoup réfléchir et à juger par le bon sens.

En réponse à une question que se poseraient certains, je dirais qu'être une femme ne fut pas un handicap. Est-ce un avantage? Je pense qu'au fond les villageois ne s'étaient même pas posé la question.

Deuxième mission

La deuxième partie de notre mission avec Romain continua sur le même ton et tout se déroula à merveille. Sur le chantier, entre maçons, manoeuvres, spécialiste du dosage à la bétonnière et de la préparation du thé, les tâches étaient bien réparties. Les plus jeunes craignaient les plus anciens, qui ne les ménageaient pas lorsque cela s'imposait.

Qui oserait de nos jours gronder le fils du voisin pour une bêtise sans avoir les reproches les plus amers des parents de ce dernier? Au village, l'enfant de l'un est enfant de tous, chacun se doit alors de le remettre sur le droit chemin lorsqu'il le juge nécessaire. Ceci devrait être une bonne leçon pour les parents modernes qui n'arrivent même plus à "maîtriser" leurs rejetons.

Cette expérience qui a risqué l'échec au départ fût finalement couronnée de succès; Anighd devînt le village vedette, un exemple à suivre qui motive les villages environnants;

Pour être fidèle à l'histoire, avouons que les villageois d'Anighd étaient très motivés et travailleurs. Nous avons appris avec plaisir, que l'une de nos recommandations a été suivie pour le chantier suivant et le chef du chantier d'Anighd fut envoyé à Tinfate pour les aider dans l'exécution de leur ouvrage suite à notre conseil.

Tradition face à la modernité

Le soir, dans ce village perdu de la chaine de l’anti-Atlas à 1700m d’altitude, blottis dans nos couvertures, assis en tailleur sur des tapis berbères aux couleurs flamboyantes, nous nous retrouvions devant cette invention de l’autre monde qui venait entâcher le cadre parfait d’un monde aux valeurs immuables, et les différentes chaines de télévisions du monde entier défilaient sous nos yeux au bon gré du fantaisiste aux doigts agiles qui avait le privilège de la télécommande.

Telle une méchante bestiole qui s’en prendrait à un nourrisson sans défense, la télévision venait détruire les veillées ancestrales, patrimoine d’un peuple qui savait transcender l'âpreté de la vie quotidienne par le génie de l’improvisation poétique et musicale, autour du feu de ces nuits éclairées par les lueurs des étoiles éternelles.

Et cependant... combien grande fut notre émotion lorsque par un froid glacial les jeunes gens du village de Talat en guise de bienvenue nous réservèrent les privilèges des grands hôtes en chantant et dansant au clair de lune, selon la tradition, dans la cour de la maison qui nous avait hébergés. Parés de leurs plus belles tenues, assez légères pour la saison, les jeunes filles scandaient les chants de bienvenue alors que les jeunes hommes au milieu battaient le rythme et chantaient le refrain.

Après une telle expérience, où l’on s’exalte à chaque lever du petit matin et à chaque coucher de soleil, où l’on s’emerveille devant la beauté divine d’un ciel étoilé, où l’on s’émeut devant l’hospitalité et la chaleur des contacts chez des populations qui ont su garder le sens des valeurs vraies, on découvre alors à quel point nous sommes esclaves de notre confort et pour ainsi dire de notre propre définition du bonheur.

Combien sommes- nous malheureux de ne pas avoir de voiture, de manquer de camembert ou de ne pas pouvoir nous offrir la dernière mini-chaine Hifi ! Tant d'artifices qui conditionnent notre vie et nous rendent dépendants du génie de bons commerciaux qui ne font qu'exploiter la bêtise des gens en créant des besoins qui n'en sont point. Tellement de réflexions me traversent encore l’esprit et me ramènent à la grande question: aide au développement, pourquoi ? N’est-ce pas là créer une nouvelle forme de dépendance, créer un besoin dont il serait plus sain de se passer et finalement détruire ce qui par le passé fut l’existence d’un peuple que l’on arrache de ses racines en lui volant sa mémoire.

Chifa TEKAYA